Mpoke Mimpongo
Université du Québec à Montréal
Le résumé
Cet article
démontre que le nom lingála ou mangála[1]
que l’on utilise comme glossonyme est une forme raccourcie ou une expression
elliptique de mangála má libɔkɔ ou parfois, lingála lí mabɔkɔ qui signifie « le langage des marchés »
en bobangi. Le nom lingála ou mangála, en soi, signifie « le
langage » ou « le jargon » pendant que libɔkɔ signifie « le
grand marché ». Le présent travail démontre les limites des autres
hypothèses sur l’origine du nom de la langue qui ont été suggérées dans la
littérature, à savoir: (i) le glossonyme lingala ne peut provenir de
l’ethnonyme bangala, car le peuple Bangála n’a jamais existé; (ii) le
nom li-ngála/ma-ngála ne peut non plus provenir du nom mongálá
signifiant le bras de rivière. Il s’agit de deux racines complètement
différentes et avec les tons différents en bobangi; et enfin, (iii) la
désignation de la langue avec le préfixe li- (li-ngála) ne pourrait être
une invention des missionnaires catholiques, car la langue ou jargon s’appelait
déjà soit, le bobangi, le mangala ou le lingala avant la colonisation. Ce
travail s’appuie sur la sociolinguistique historique ainsi que la grammaire du
bobangi et du lingala pour expliquer l’origine et la signification du
glossonyme. Il rend compte de comment les Africains nommaient cette langue
avant les divers glossonymes proposés par les Européens.
Abstract
This article argues that the names Lingála or Mangála, used as
glossonyms, are short-forms or elliptical expressions of mangála má libɔkɔ,
or sometimes lingála lí mabɔkɔ, which mean ‘the language of markets’ in
Bobangi. The names Lingála or Mangála, in themselves, mean ‘language’ or
‘jargon’ and libɔkɔ means ‘big market’. The present work establishes the
limits of alternative hypotheses that have been suggested in the literature,
namely (i) that the glossonym Lingala may come from the ethnonym Bangala: erroneous
because the Bangála people never existed), (ii) that the names li-ngála/ma-ngála
come from the noun mongálá meaning ‘the arm of the river’: mongálá
and ma-ngála contain two completely different roots and with different
tones in Bobangi, or finally (iii) that the designation of the language with
the prefix li- (li-ngála) was an invention of Catholic
missionaries: this cannot be, because the language or jargon in question was
already called either Bobangi, Mangala or Lingala before colonization.
This work draws on historical sociolinguistics as well as the grammar of
Bobangi and Lingala to explain the origin and meaning of the glossonym. It
gives an account of how Africans named this language before the various
glossonyms proposed by Europeans.
1. Introduction
<1> La quête de l’origine et de la
signification du nom ou glossonyme lingala est une question capitale
pour mieux comprendre l’histoire de la langue et son expansion. En effet, la
signification du nom originel bobangi de la langue mangála má libɔkɔ comme le langage des grands marchés nous
révèle un pan de son l’histoire, c’est-à-dire, son origine comme jargon
commercial du bobangi (un bobangi mal parlé par les non-Bobangi), son
développement comme langue du commerce interethnique du fleuve Congo et de ses
affluents, mais également son statut actuel de langue internationale.[2]
Jusqu’à présent,
toutes les recherches sur ce sujet ont été concentrées autour des peuples de la
région de Mankanza. Également, presque toutes les hypothèses sur l’origine du glossonyme ne se
sont limitées qu’aux habitants de Mankanza et de leurs
missionnaires-colonisateurs (Tanghe 1930; Guthrie 1939; Tshimpaka 1980; Mbulamoko 1991; Bokamba 2009;
Nzoimbengene 2013; Meeuwis 2021). Mankanza est le lieu où le lingala normatif de
la RDC (République démocratique du Congo) a été fixé par les missionnaires
catholiques au début du 20e siècle. Ce le lingala normatif de la RDC
s’appelle également le lingala de Mankanza.[3]
<2> Nous n’avons pas trouvé, dans la
littérature sur l’origine du lingala, des travaux qui considèrent les sources à
l’extérieure de la région de Mankanza, lors même que la langue a comme foyer
d’origine les Bobangi, à savoir, le confluent du fleuve Congo et l’Ubangi ainsi
que les rivières Sangha, Likouala, Alima et le Bas Kasaï (Bwantsa-Kafungu 1970,
1982; Vansina 1973; Harms 1981; Hulstaert 1989).
Les écrits des
premiers Français (dans le Congo-Français) sur la domination commerciale des
Bobangi dans les rivières Alima, Mpama, Kuyu, Likouala, Sangha
(voir Carte 1) ont été presque ignorés dans la sociolinguistique
historique du lingala. Nous rappellerons ici que le tout premier travail connu
sur le mangala/lingala ou bobangi commercial est celui du Petit vocabulaire
commercial français-congolais et congolais-français à l’usage des nouveaux
arrivants dans les régions occupées par la moyenne Sangha et la N’Goko de
Morrison & Pauwels (1895).[4]
Ponel (1885) avait aussi noté que la langue commerciale dans la rivière Alima était une sorte de sabir, de batéké, du
bobangi et de mboshi. Ce même bobangi commerciale tel que parlé par le Bateke
et les Mboshi dans l’Alima est celui que Courboin (1908) avait décrit en
l’appelant « Bangala ». Bruel (1935) a également mentionné
l’existence du sabir bobangi dans la Haute-Sangha avant la colonisation. Ces
dialectes du lingala parlés au nord du Congo-Brazzaville sont plus anciens que
celui de Mankanza.
<3> Ce qui est encore plus
intriguant pour nous est que les noms li-ngála (cl5) ou ma-ngála
(cl6) sont utilisés dans la langue de tous les jours en bobangi et en
lingala, pour signifier autre chose qu’un glossonyme. Ces noms sont utilisés
pour signifier un langage, un jargon, une façon de parler, un dicton, une
maxime, un proverbe, un mot. L’analyse de ces noms d’origines bobangi va nous
permettre de mieux comprendre comment et pourquoi ils désignent aujourd’hui une
langue.
|
Carte 1 : Le réseau commercial des Bobangi |
Le but et la démarche
<4> Dans
cet article, nous allons démontrer que le glossonyme lingala/mangála est une forme raccourcie pour désigner le
jargon commercial du bobangi, le mangála má libɔkɔ ou lingála lí libɔkɔ.
Dans §2, nous démontrerons historiquement et grammaticalement que le
nom mangála comme ‘glossonyme’ est le plus ancien nom du lingála.
Dans §3, nous démontrerons que lingála est un nom authentique du bobangi et qu'il est grammaticalement bien
formé pour désigner un jargon. Dans §4, nous démontrerons que le nom libɔkɔ dans mangála má libɔkɔ,
qui signifie grand marché ou foire commerciale, explique l’origine et
l’expansion de la langue. Dans §5, nous démontrerons que les interprétations du
nom mangála má libɔkɔ dans la littérature sont anachroniques. Dans §6, nous démontrerons que, dans la littérature, les questions sur l’origine du
glossonyme lingala n’ont pas considéré sa signification en bobangi. Dans §7, nous démonterons que le préfixe li-
de lingala ne peut pas être une création des
missionnaires-colonisateurs ni des Iboko-Libinza.
Dans §8, la dernière section, enfin nous apporterons notre conclusion
que mangála/lingála est un nom bobangi.
<5> Avant toute chose, nous devons
souligner qu’aujourd’hui, la langue porte trois noms ou glossonymes, à savoir, mangála má libɔkɔ (Van Everbroeck 1985:III, Mumbanza et
al. 2016:83), aussi dit lingála lí mabɔkɔ (Tshimpaka 1980:125);
mangála et lingála.
Nous savons également que la langue a aussi été désignée par le nom bobangi
ou le kibangi,[5]
le bangala et aussi le congolais (Morrison & Pauwels
1895) ces trois derniers par les colonisateurs européens.
Le but du
travail est de remonter aux origines historiques de ce glossonyme pour
démontrer ou plutôt de rappeler[6]
aux lecteurs que le nom lingála ou mangála trouve sa
signification à l’intérieure même de la langue bobangi et, par conséquent, en
lingala. Nous soutiendrons ici, à partir des données de la langue bobangi, que
les noms mangála ou lingála ne sont que les formes raccourcies ou
expressions elliptiques de mangála má libɔkɔ
aussi lingála lí mabɔkɔ qui ont
été perçues comme étant un glossonyme.
Cette phrase ou expression signifie, en bobangi tout comme en lingala, la
langue commerciale, le jargon des affaires ou, de façon littérale, ‘la langue
des foires commerciales’ ou ‘la façon de parler dans les grands marchés’.
Voyons le glosage en (1):
(1) |
a. |
ma-ngála |
má |
li-bɔkɔ |
|
|
6-langage |
CONN.6 |
5-marché |
|
|
le
langage du marché |
||
|
|
|
||
|
b. |
li-ngála |
lí |
ma-bɔkɔ |
|
|
5-langage |
CONN.5 |
6-marché |
|
|
le
langage des marchés |
La forme lingála lí mabɔkɔ est moins employée que
mangála má libɔkɔ.
<6> Avec les données de la langue
nous démontrerons aussi que la forme li-ngála (cl5) avec
préfixe li- n’est pas d’origine étrangère. Il s’agit d’une autre façon
de dire ma-ngála (cl6), car dans certains contextes linguistiques,
les deux formes peuvent être interchangeables comme ici en (1). (Le li-ngála
n’est pas toujours le singulier de ma-ngála, ni ma-ngála toujours
le pluriel de li-ngála).
Nous allons
également remonter aux conditions sociales, économiques et historiques qui ont
donné naissance à ce nom considéré aujourd’hui comme un glossonyme. Les
traditions et pratiques commerciales des bobangi dans le fleuve Congo, dans
l’Ubangi, dans le Likouala, Alima et la Sangha serviront à éclairer notre
démarche. Nous conclurons à l'effet
que linguistiquement parlant, en bobangi, le nom lingála ou mangála réfère à un jargon ou un langage circonstanciel, un bobangi des
affaires, le jargon du commerce dans les cours d’eaux du bassin du Congo.
Ainsi, les étiquettes comme « bobangi de traite » (Hulstaert 1950:45);
« trade language » (Weeks 1913:49), « le
dialecte intermédiaire et commercial » (Coquilhat 1888:81), « langue
commerciale » De Boeck (1904:3), « the eclectic “trade”
language » (Whitehead 1899:vi), « language of traders » (Harms
1981:92), « river patois » (Samarin 1986:150), « trade language »
(Harms 1981:93; Samarin 1986:150; Hulstaert 1989:91, 95) avec lesquelles les premiers colons qualifiaient le lingala ou la lingua franca du bobangi, n'étaient pas des
notions étrangères aux natifs. C’est la signification même en bobangi de mangála má libɔkɔ, raccourci en mangála ou lingála.
<7> Ainsi, pour les trafiquants et
commerçants Bobangi qui contrôlaient de façon monopolistique le commerce dans
le fleuve Congo et ses affluents au sud de l’équateur (Hanssens 1884; Brazza
1887; Whitehead 1899; Harms 1979, 1981, 2019, Vansina 1990; Ndinga-Mbo 2006,
Meeuwis 2023), le lingala/mangala est leur jargon de commerce. C’est le bobangi
simplifié (De Rop 1960:18), la lingua franca du bobangi, telle que parlée dans
les foires et carrefours commerciaux appelés ma-bɔkɔ. C’est cette forme
de langue appelée mangála má libɔkɔ
que les riverains et les autres peuples du Nord (RDC-Congo-Brazzaville-RCA)
continuent d’appeler mangála.
2. L’origine: Que signifie et d’où vient le nom lingála ou mangála
<8> Dans cette section, nous allons
tenter d’expliquer l’origine de ce glossonyme en nous basant sur les données
historiques et linguistiques du bobangi et du lingala.
Nous
commencerons par dire que la question de l’origine du glossonyme lingala semble
être un sujet qui a été complexifié pour des raisons plus ou moins obscures.
Nous disons obscurs, pour la simple raison que les spécialistes ont concentré
tous leurs efforts dans la région de Mankanza (Tanghe 1930; Tshimpaka 1980; Mbulamoko 1991; Bokamba 2009;
Nzoimbengene 2013; Meeuwis 2021). Or, il s'agit pourtant d'une langue qui a
comme foyer d’origine à des centaines de kilomètres loin de Mankanza.
L’africaniste
Joseph Tanghe qui avait effectué ses recherches dans la région de Mankanza avait
reconnu que le nom originel du lingala était mangala. Il avait toutefois
reconnu que « l'origine du terme mangala n'a pas encore été établie »
(Tanghe 1930:2).
<9> Dans notre recherche sur
l’origine du glossonyme lingala, nous avons fait le constat suivant:
Premièrement, même s’il est reconnu dans la littérature que le lingala a pour
langue mère ou langue lexificatrice le bobangi, toutefois, la piste bobangi n’a
pas été considérée pour établir l’origine et la signification du glossonyme. La
question posée ici est donc celle de savoir ce que signifie le nom lingála
ou mangála en bobangi et, comment et pourquoi ce nom est devenu celui de
la lingua franca du fleuve Congo.
Deuxièmement, il
est également reconnu que la langue commerciale ou la lingua franca du fleuve
avant la colonisation était le bobangi simplifié ou déformé (Sims 1886;
Stapleton 1892:226; Hulstaert 1940:39; Bwantsa-Kafungu 1970:6; Mbulamoko 1991:387;
Mumbanza 2016:83; Meeuwis 2019:3; 2020:22). L’historien Ndaywel (1997:245)
l’avait qualifiée de « la langue nouvelle des Bobangi ». Hulstaert
(1950:45), lui avait mentionné : « À cette époque, ce qui est devenu
le lingala s’appelait encore bobangi ». Toutefois, les experts ne se sont
pas posé la question de savoir comment les Bobangi eux-mêmes nommaient leur
lingua franca avec laquelle ils communiquaient avec les non-locuteurs du
bobangi (Coquilhat 1888:81, 324; Hulstaert 1950:45; Meeuwis 2021:19) ? À
cela vient aussi la question de savoir comment la langue des réputés grands
commerçants Bobangi nomme-t-elle ce que nous appelons en français la langue
commerciale, la langue de traite, la langue des affaires ou le
bobangi de traite (Hulstaert 1950:45) ?
Troisièmement,
sachant aussi que le lingala a été souvent qualifié péjorativement de
« patois » (Stapleton 1892:226; Samarin 1986:150), de
« jargon » (Stapleton 1892:226; De Boeck 1904:4), de « sabir de
bobangi » Bruel (1935:165) « bobangi déformé et mélangé »
(Hulstaert 1940:39), « the eclectic “trade” language » (Whitehead
1899:vi), « broken bobangi » (Meeuwis 2019:3), « bad
bobangi » (Marker 1929:16) etc. Sachant également que les Bobangi,
jusqu’aujourd’hui, qualifient le lingala de « bobangi mal parlé » ou
« bobangi appauvri », la question ici serait de savoir comment la
langue bobangi nomme-t-elle toutes ces étiquettes péjoratives ?
Quatrièmement, Bokamba
(2009:54) mentionne qu’avant que De Boeck adopte le glossonyme lingala, les
Européens employaient une variété des noms comme « la langue du
fleuve, la langue du Haut Congo, la langue du Haut-Fleuve, la langue de traite,
langue commerciale, et Bangala. Nassenstein & Pasch (2019:96)
eux, présentent l’évolution de ce glossonyme par les Européens comme suit:
« la langue a d’abord été étiquetée « langue commerciale », puis
« bangala » et plus tard (environ 1901),
« lingala » ». Sachant également que Bwantsa-Kafungu (1982:9)
avait mentionné que « le bobangi devenu lingala, n’a pas tardé à
s’étendre. Son expansion était due au fait qu’il était parlé par les
riverains », la question ici est aussi de savoir, comment les communautés
riveraines qui avaient le bobangi commercial/lingala comme deuxième langue
(Kund1885:386; Sims 1886; Coquilhat 1888; 1885; Oram 1891; Lemaire 1895; Harms
1981; Vansina 1990) appelaient cette langue avant la venue des Européens ?
Cinquièmement,
Bobutaka (2013:28) avait soulevé que les Bobangi avaient pour la langue les
dialectes du bobangi et le lingala classique. Nous nous posons cette question: comment
alors les Bobangi nommaient-ils ce « lingala classique »[7]
précolonial ?
Et sixièmement,
Tshimpaka (1980:125) écrit que les Bobangi appellent le lingala, lingála
lí mabɔkɔ, la question ici est de savoir quelle est la signification de ce
nom en bobangi ? Nous allons tenter de répondre à toutes ces questions par
une analyse grammaticale, sociolinguistique, mais également historique de ce
nom.
2.1. Le
nom ma-ngála
<10> Ayant posés des bases sur les
questions d’ordres sociolinguistiques et historiques, ici nous allons tenter de
faire une analyse lexicologique, grammaticale, mais aussi des usages du nom mangála.
Nous répondrons également à la question: le mangala et le lingala,
s’agit-il de deux langues différentes ou de deux dialectes d’une même langue ?
Avant de voir
les différences au niveau grammatical entre le li-ngála et le ma-ngála,
nous devons d’abord mentionner que dans tous les dialectes de bobangi, de même
qu’en lingala, la racine ngála a comme champ sémantique tout ce qui est
relié à la parole ou aux expressions linguistiques (parole, locution, langage,
mot, expression, façon de parler, tournure de phrase, le langage, jargon,
pidgin, etc.). Ainsi, les noms lingála et mangála en bobangi nous réfèrent au champ sémantique de la
racine ngála, mais ne peuvent en aucun cas, signifier une langue dans le
sens français[8] ou
linguistique du terme. Voici quelques brèves définitions de ces noms:
(2) |
li-ngála/mangala |
|
1.
langage,
façon de parler, jargon, un parler, dialecte |
|
2.
parole,
locution, langage, mot, expression, proverbe, phrase |
<11> Nous rappellerons que dans
certains contextes grammaticaux, li-ngála peut être employé comme
synonyme de ma-ngála. Nous reviendrons avec plus de détails sur les
différences entre ces deux formes dans §2.1.1 et §2.1.2. Dans la section 2.2.,
nous verrons les usages du nom lingála/mangála dans les expressions en
bobangi et lingala. En §2.3., nous verrons que le nom lingála/mangála ne
peut être interprété comme un glossonyme en lingala et en bobangi.
2.1.1.
Le
nom ma-ngála et le préfixe ma-
<12> Ici,
nous allons tenter de donner des raisons pour lesquelles le lingala continue
toujours de se faire appeler mangála par certains de ses locuteurs,
surtout par ceux du Nord (le nord des deux Congo et le sud-ouest de la
Centrafrique) même si la désignation officielle est lingala, un phénomène qui
ne trouve aucune explication dans la littérature.
Nous avons constaté qu’il y a un vide dans la
littérature récente autour du glossonyme mangála. Par exemple, l’historien
Didier Gondola parle du « mangala, qui a été pendant longtemps
imposée par les populations banunu[9]
et bobangi comme la langue du commerce dans le Pool avant l'arrivée des
Européens » (Gondola 1998:57). Toutefois,
il nous a confié qu’il a demandé aux linguistes la différence entre le mangála
et le lingála. Il n’a jamais eu de réponse (communication personnelle).
<13> Nous
commencerons par dire que le terme mangála est la façon la plus ancienne
pour nommer le lingala (Johnston 1902; Tanghe 1930; Guthrie 1966;
Knappert 1979). Il s’agit également du nom
originel de la langue (Guthrie 1939:iii; 1966:ix -x; Knappert 1979:154)
Tanghe (1930:2) écrit: « L'indigène lui-même ne connait que le seul
terme mangala ». Pour Guthrie (1939:iii) « Mangala, un nom qu’il vaut
mieux employer en parlant aux indigènes plutôt que lingala ». Pour Redden (1963:X): « Lingala, usually
called Mangala by Africans ».
Nous pouvons voir que l’existence du nom mangála
est attestée avant la désignation officielle de la langue sous le nom de lingala
par De Boeck en 1904.
Nous
rappellerons qu’en bobangi et en lingala, tel que parlé dans ses milieux
d’origine, l’on utilise, de préférence, la forme mangála, pour désigner cette langue. Knappert
(1979:154) mentionne « the name Mangala is still in use among the people
to denote the language ».
<14> Il nous est important de noter que
même dans les régions dans lesquelles la norme prescriptive prime (le nord-ouest
de la RDC), les locuteurs préfèrent la forme mangála que lingála.
Même si le nom mangála s’emploi dans tous les registres de la langue, toutefois,
dans un contexte formel ou dans une langue soignée,
les locuteurs (y compris l’auteur) préfèrent utiliser le terme mangála
plutôt que lingála. Kawata Ashem Tem (2004:149), dans son Dictionnaire lingala-français,
écrit ceci pour l’entrée lexicale mangála
:
(3) |
mangála |
la
langue « lingala » aussi appelée ainsi par les puristes |
Nous
soulignerons ici que ceux que Kawata (2004:149) désigne par ‘les puristes’ ne
sont pas ceux qui suivent à la lettre la norme linguistique de l’État ou des
missionnaires qui préconise le glossonyme officiel lingála. Il s'agit plutôt de ceux qui ont toujours maintenu
l’appellation originale du bobangi, soit le mangála. Nous préférerons
les nommer des ‘conservateurs’. Van Everbroeck (1985:108)
dans son dictionnaire lingala-français, conne deux équivalents de mangala.
(4) |
mangála |
1. |
la
langue lingala (certains préfèrent cette forme-ci) |
|
2. |
langage
dur |
2.1.2.
Une
ou deux langues
<15> La désignation de la langue par le mon mangala dans sa région
d’origine a donné l’impression que le mangala serait la langue originelle et
que le lingala en serait une version dérivée et déformée. Cette impression
s’explique en partie par l’usage de ces deux noms dans certaines communautés.
Par exemple, chez les populations riveraines du nord du Congo-Brazzaville,
parfois, l’on emploie le nom de lingala seulement pour désigner la
lingua-franca de Brazzaville et de Kinshasa, mais celle du Nord, considérée
comme originelle garde le nom mangala. Cela se reflète aussi dans ce qui
est écrit dans l’Atlas
Linguistique du Congo-Brazzaville (Lumwamu et al., 1987:29): « Nous
pensons qu’on a affaire à deux variétés: mangala est une variété vernaculaire,
tandis que lingala est une variété véhiculaire ». Jacquot (1971:356), dans son inventaire
et classification des langues du Congo-Brazzaville, avait mentionné la
langue mangala, faisant partie de la branche bobangi, distincte du lingala
« la langue du fleuve ». Sur cette classification de Jacquot (1971), Lumwamu et al. (1987:29) écrit: « pour notre part,
nous proposons d’ajouter le lingala, langue véhiculaire. Il semble que l’intercompréhension
soit attestée entre ces unités ».[10]
Kourata (2014:24) aussi, classifie les langues lingala, bobangi, mangala et moyi comme membres
de la famille Bangi-Tomba.
Cette perception
de la distinction entre le mangála
« originel » des Riverains du Nord et le lingála « dérivé »
des villes multiethniques se faisaient aussi voir au Congo-Belge, comme
dans ces propos de Comhaire-Sylvain (1949:239):
Le
lingala parlé à Léopoldville est en général plus simple que la langue qui lui a
donné naissance, le mangala, encore en usage en pays Bangala. ... Il n'est donc
pas étonnant que le mangala original, en contact avec diverses langues locales
ait quelque peu perdu en cours de route bon nombre de ses caractéristiques.
Nous savons que
cette langue mangala, distincte du lingala, n’existe pas, il s’agit seulement d’une
autre appellation du lingala.
<16> Van Everbroeck (1985), lui, explique cet usage et cette perception
en termes de distinctions dialectales au niveau glossonymique entre le mangála má libɔkɔ de
la région d’origine de la langue et le lingala d’ailleurs. Il écrit: « Le
dialecte parlé dans cette région s’appelle Mangála
málibɔkɔ, la langue
parlée dans les autres contrées Lingála, tout court. » (Van Everbroeck
1985:III). Il nous faut rappeler ici qu’en lingala aussi mangála má libɔkɔ signifie
la langue du marché ou du commerce (Courboin 1908:43, 44, 55, 97, 119).
Nous
mentionnerons aussi qu’en lingala/bobangi, le nom pour désigner les locuteurs
de lingala est « Bato ya mangála » ou « Bato ba/bá
mangála » (lit. ‘les gens du mangála’) et non *Bato ya lingála. Le
Dictionnaire du parler kinois (Malonga 2021:263) dit cependant « moto ya mangala: personne qui parle le lingala, lingalaphone ». Pareillement en
Europe, les personnes originaires de la RDC, du Congo-Brazzaville et du nord de
l’Angola se désignent entre eux comme étant « Bato ya mangála ». En parlant des Congolais en Afrique du sud,
Ngeleka (2024) écrit: « pour se déterminer par rapport aux autres émigrés
africains, ils s’identifient par l’expression « Bato ya mangala »
[ceux dont la langue est le Lingala]. Peu importe leur langue d’origine, tous
ont opté pour être considérés comme des locuteurs d’une des langues du Congo:
le Lingala». Ici, mangála n’est pas un pluriel de li-ngála,
car il ne s’agit pas de la communauté des gens parlant plusieurs li-ngála.
(ma-ngála est ici un glossonyme).
Nous venons de
voir ici que malgré l’adoption officielle du glossonyme lingala par
l’Église, l’administration coloniale et post-coloniale, la forme originelle
bobangi, le mangála, reste toujours employé dans la langue.
2.2. La grammaire et les usages du
nom mangála
<17> Nous allons maintenant voir au niveau grammatical et des usages
l’emploi du nom mangála en bobangi, et par conséquent, en lingala.
2.2.1.
Les
deux interprétations de ma-ngála
<18> En bobangi, tout comme en lingala, le nom mangála est employé
pour désigner le langage ou le jargon, la façon de parler d’une catégorie de
personnes en particulier ou celle des gens appartenant à un groupe social, de
profession ou autre. Dans cet emploi, le nom ma-ngála (cl6) neutre par rapport au nombre, ils toutefois morphologiquement un pluriel
qui n’a pas de contrepartie au singulier. Dans d’autres contextes, ma-ngála
(cl6) est aussi employé comme le pluriel de li-ngála (cl5) mot, parole, expression, phrase, proverbe, dicton.
Considérons ces deux
exemples de Mufwene (1978:1037)[11]
en (5):
(5) |
a. |
bínó |
mpé |
bo-tík-aka |
ko-lob-aka |
ma-ngála |
ya |
ba-bill |
óyo! |
|
|
you.pl |
also |
pr-stop-hab |
inf-speak-hab |
mangála |
conn |
‘kibil’ |
this |
|
|
‘May
you stop to speak this ‘Kibil’ Lingala’ |
|
b. |
n-tángo |
na-kóm-í |
ma-ngála |
e-kót-él-í |
bangó |
|
|
time |
I-arrive-perf |
mangála |
pr-enter-appl-prf |
them |
|
|
na |
mo-noko |
mwayé |
té! |
|
|
|
prep |
mouth |
way |
neg |
|
|
|
‘Did they speak so much Lingala when I arrived ? |
Nous voyons ici
qu’en (5.a) ma-ngála signifie le langage ou jargon (kibil, le lingala
des Bills[12]),
pendant qu’en (5.b), il signifie ‘les paroles’, ‘so much Lingala’,
littéralement, ‘leurs bouches étaient remplies de plusieurs lingala’.
2.2.2.
Mangála
comme jargon ou langage d’un groupe de personnes
<19> Par exemple, ici en (6), le mot jargon militaire ou un
langage spécifique des soldats se dit:
(6) |
a. |
ma-ngála |
má |
ba-sodá |
bobangi et lingala classique |
|
|
6-langage |
conn6 |
2-soldat |
(RDC et Congo-Brazzaville) |
|
|
|
|
|
|
|
b. |
ma-ngála |
ya |
ba-sodá |
(lingala courant) |
|
|
6-langage |
conn |
2-soldat |
|
|
|
‘jargon militaire’ (lit. le langage ou la façon
de parler des soldats) |
Nous dirons la
même chose pour mangála má bazúzi ‘le langage juridique’ (littéralement
le langage des juges (ba-zúzi)); mangála má/ya bayémbi ‘la langue ou langage
des musiciens’, etc.
Chez les Bobangi, le langage des
cérémonies traditionnelles se dit mangála má bampómbá ‘le langage des
ainés’ (un langage souvent rempli de proverbes et des devinettes). Également,
le langage des jeunes ou l’argot est qualifié de mangála má bilɛngɛ́ ‘le
langage des jeunes’. C’est également dans ce contexte que les Bobangi
désignaient leur jargon commercial par mangála má libɔkɔ. Nous
reviendrons sur le nom libɔkɔ en §4.
2.2.3.
Mangála
comme une façon de parler ou comme langage particulier
<20> Dans ce même ordre d’idée, nous ajouterons ici que le nom mangála,
qui n’est pas, dans ce cas, un pluriel de lingála, est également employé
en bobangi et en lingala pour désigner ou qualifier une façon de parler ou un
langage particulier.
Considérons, en
(7) cette phrase très courante en bobangi:
(7) |
na-ngá |
té |
ko-ling-á |
ma-ngála |
má |
yɔ́ |
|
je-être |
neg |
prog-aimer-prf |
6-langage |
conn6 |
2sg |
|
‘Je n’aime pas
ta façon de parler / Je n’aime pas ton langage’. |
Voyons également
en (8) une autre phrase très courante en bobangi et en lingala:
(8) |
a. |
mwǎna |
óyo |
ma-ngála |
ma-bé |
(lingala) |
|
b. |
mwǎna |
oyo |
ma-ngála |
ma-bé |
(bobangi) |
|
|
1.enfant |
DEM |
6-langage |
6-mauvais |
|
|
|
Cet
enfant/personne a un langage impoli/ irrespectueux/ déplacé Cette personne
est impolie (en paroles). |
<21> En lingala, l’on utilise aussi la formule momɔkɔ mabé,
littéralement, ‘une mauvaise bouche’ (surtout à Mbandaka). Cependant, le
bobangi, n’emploie que la forme mangála mabé.
Notons également
qu’en lingala le nom mangála (sans ajouter l’adjectif mabé
‘mauvais’) est souvent utilisé comme un raccourci ou expression elliptique pour
dire mangála mabé, comme ici dans l’exemple en (9):
|
mwǎna |
óyo |
a-zal-í |
na |
ma-ngála |
(9) |
1.enfant |
dem |
3sg-être-prf |
avec |
6-langage |
|
Cette personne
a un langage cru ou impoli. |
||||
|
(lit. Cette a
personne a le langage) |
Sur cet emploi, le Dictionnaire du parler Kinois (Malonga 2021:263)
note: « Mangala: langage déplacé, paroles désagréables », celui de Van Everbroeck (1985:108) mentionne: « langage dur », dic.lingala.be, écrit « Paroles déplacées ».
Nous rappellerons aussi qu’en bobangi, l’on ne peut se servir du nom bobangi
ni même lokótá ‘la langue’ pour désigner un langage, comme dans les
exemples (6), (7) et (8). L’on ne peut dire *bobangi bo-bé « mauvais
bobangi » ou *lokótá lo-bé « mauvaise langue » pour dire un
mauvais langage.
2.2.4.
Les
expressions bobangi/lingala avec lingála/mangála
<22> Avant de conclure cette partie, nous allons aborder l’expression
populaire en lingala káta lingala/mangála, en bobangi kɛ́tɛ
mangála/lingala qui signifie littéralement ‘couper le mot, couper la parole
ou couper le langage’. L’emploi de cette expression dans le langage de tous les
jours est l’une des meilleures illustrations qui démontrent le sens premier de
ce nom devenu glossonyme.
L’expression
káta lingála/mangála signifie dire une parole ou à donner une réponse très
dure, sèche, abrupte et surtout impolie. Le dictionnaire du parler kinois
(Malonga 2021:200) mentionne ceci: « kokata
mangala/lingala ou kokatela moto lingala: prononcer des paroles
désagréables, parler insolemment à quelqu’un ». Pour le dictionnaire de van
Everbroeck
(1985:108), akátélí ngáí mangála mabé signifie « Il ne pas mâcher ses
paroles ».
Voici aussi
quelques définitions trouvées sur internet à propos de cette l’expression
populaire auprès des lingalaphones. Dans le forum Mboka mosika,[13]
nous avons trouvé :
-
des
propos tranchés, durs ou malveillants
-
une
réponse courte et sèche, qui reflète une certaine antipathie (spontané)
-
remarque
cinglante, réplique impulsive
Le site ksludotique.com
(Kwete Nza-Yazola) traduit kokatela
mutu lingala par « to speak
insolently to someone » et kokata mangala/lingala par « to talk badly, to make disparaging remarks, to try to pick a quarrel ».[14]
<23> Nous rappellerons ici que cette expression
s’emploie dans tous les dialectes du bobangi. Par exemple, en likwala et en buenyi, Pascal Ndinga
(communication privée) nous dit, kɛ́rɛ mangála signifie « une réponse cinglante », « une réponse qui
empêche la personne de dire davantage ». ‘Prendre quelqu’un à rebours’ ou ‘fermer
la bouche de quelqu’un par une réponse glaçante’.
Nous ajouterons également une autre expression en bobangi/lingala, sémbólá
mangála (littéralement, « dresse ou rends droit le langage »
(impératif)) qui signifie, parle correctement, exprime-toi bien, parle de façon
claire, explique bien les choses, sois clair dans tes propos, etc. Dans ce
cas-ci l’on ne peut remplacer le mot mangála par lingála (*sémbólá
lingála), car ici, le nom mangála fait référence au langage et non à
un mot en particulier.
Comme nous l’avions mentionné pour le cas de mangála mabé ‘paroles
impolies’, en règle générale, on ne peut pas non plus se servir du nom bobangi
(la langue bobangi) ou lokótá ‘la langue’ dans le même sens que lingála/mangála
dans ces expressions.[15]
Ces emplois de lingála/mangála nous démontrent qu’en bobangi et en
lingala, le sens premier de ce nom n’est pas celui d’un glossonyme.
2.3. Le nom lingála/mangála n’est pas un
glossonyme
<24> Ce qui vient d’être dit ici peut nous permettre de comprendre que
les anciens Bobangi interprétaient le nom lingala ou mangála
comme un jargon, une façon de parler ou un parler particulier. Dans cette
partie, nous allons démontrer grammaticalement comment le bobangi ne permet pas
que ce nom lingála/mangála puisse être interprété comme un glossonyme.
Premièrement, en
bobangi et en lingala, le terme pour désigner une langue est lokótá (cl11) ou nkótá (cl9/10) ou de façon métonymique munya (cl3) en bobangi ou monɔkɔ (cl3) en lingala ‘la bouche’ qui lui, signifie
une langue comme le français, l’anglais, l’arabe, l’italien, etc. À titre
d’exemple, on peut dire qu’une personne parle la langue bobangi (lokótá ló
bobangi), la langue française (lokota ló falasé) ou la langue anglaise (lokotá
ló ngelésa).
Deuxièmement, la
grammaire du bobangi/lingala ne permet pas l’emploi du nom lokótá ‘la
langue’, ni même munya/ monɔkɔ ‘bouche’ pour désigner le
lingala/mangala. Il est donc agrammatical et incongru de dire une phrase comme:
*a-ko-lobá lokótá ló mangála/lingala ‘*Il/elle parle la langue lingala ou
mangala’. Le dire, serait comme dire en français, ‘*elle parle la langue
langage’, ou *‘elle parle la langue jargon’.
Troisièmement,
la langue bobangi/lingala exige que le nom lokótá ‘langue’ soit suivi,
soit d’un glossonyme (ex.: la langue ki-kongo) ou soit d’un ethnonyme (ex.: la
langue des Ba-kongo). En revanche, son équivalent métonymique momɔkɔ (lingala)
ou munya (bobangi) ‘la bouche’ exige un ethnonyme (la bouche de CL2-peuple). Considérons,
en (10) ces exemples en bobangi et en lingala:
(10) |
a. |
Maya |
a-ko-lobá[16] |
lo-kotá |
ló |
kikɔ́ngɔ́
|
|
|
|
|
Maya |
3sg-prog-parler |
11-langue |
conn11 |
kikɔ́ngɔ́ |
|
|
|
|
Maya
parle la langue kikongo. |
||||||
|
|
|
|
|||||
|
b. |
Maya
akoloba lokotá ló ba-kɔ́ngɔ́ Maya
parle la langue des Kongo. |
||||||
|
c. |
Maya
akoloba munya/monɔkɔ[17]
mó ba-luba Maya
parle la langue (bouche) des Luba. |
||||||
|
d. |
Maya
akoloba munya/monɔkɔ mó ba-kongo Maya
parle la langue (bouche) des peuples Kongo. |
||||||
|
e. |
*Maya
akoloba lokotá ló lingála/mangála *Maya
parle la langue lingala/mangála. |
||||||
|
f. |
*Maya
akoloba munya ló ba-mangala *Maya
parle la langue (bouche) des peuples Mangala. |
||||||
<25> Ces exemples nous démontrent clairement que le nom lokotá
‘langue’ ou munya/momɔkɔ ‘bouche’ en (10a, b, c et e) sont employés pour
désigner les langues. En revanche, en (10e et f), il est incongru de se servir
de ces mêmes noms (glossonymes) pour désigner le lingala/mangala. Il est aussi
clair ici que l’on ne peut non plus se servir de lingala/mangála comme nom pour
désigner la langue spécifique d’un peuple, tel que démontré en (10f). La langue
ne permet pas non plus que l’on puisse qualifier une langue de mangála/lingala,
comme l’exemple, *mangála má kikongo « le kikongo » ou *mangála
má falasé « la langue française ».
2.3.1.
Mangála
comme dialecte ou parler régional
<26> Ici, nous allons parler de l’emploi
en bobangi du nom mangála dans le sens de dialecte, d’un parler régional
ou tribal. Chez les Bobangi, chaque tribu désigne sa langue par le nom bobangi
ou lokótá ló bobangi ‘la langue bobangi’, mais quand il faut désigner
son propre dialecte ou celui des autres tribus Bobangi, l’on emploie le nom mangála.[18]
Considérons ces exemples en (11):
(11) |
a. |
mangála má Likuba |
les parlers Likuba |
|
b. |
mangála má Basí-Bonga |
le dialecte des gens de Bonga |
|
c. |
mangála má Bonga |
le parler du village de Bonga |
Cette distinction dialectale est importante, car la
majorité des communautés bobangi n’ont pas de noms de tribu pour se distinguer
des autres, elles se font désigner uniquement par l’ethnonyme Bobangi ou par le
nom de leur région.
Cet emploi qui consiste à désigner son dialecte par
‘la manière de parler’ est courant dans les langues du monde. Par exemple, Thomas
Leu, nous a dit que les Suisse-allemands appellent leur dialecte régional, le
suisse-allemand, Mundart,[19]
qui signifie ‘la manière de parler’ (littéralement, bouche-manière).
2.3.2.
Mangála
pour désigner une la langue inconnue
<27> Avant de conclure cette section, nous allons souligner un emploi particulier
du nom mangála. En bobangi, mangála est
employé lorsqu’il qu’il s’agit de désigner une langue qui nous semble inconnue,
mais dont on peut en présumer l’origine. Par exemple, si nous entendons deux
Européens communiquer dans une langue que nous ne connaissions pas, cette
langue sera désignée par:
(12) |
ma-ngála |
má |
Mpótó
|
|
6-langage |
conn.6 |
9.Europe |
|
Un
parler européen ou l'une des langues d’Europe |
Nous venons de voir que ma-ngála (cl6) est
un nom bobangi que le lingala a hérité qui signifie « le langage, le
jargon’ ou ‘une façon de parler, un dialecte ». Le nom mangála
peut, dans certains contextes, être analysé aussi comme étant le pluriel du nom
li-ngála (cl5) dans le sens d’une parole, un mot, une
expression, une phrase, une tournure de phrase. En aucun cas, ce nom ne peut
être employé pour désigner une langue humaine spécifique. Pour compléter notre
analyse grammaticale, nous allons, dans la prochaine section, analyser le nom li-ngála
(cl5).
3. Le
nom li-ngála en bobangi et la racine ngála
<28> Nous avons dit que pour les locuteurs (surtout ceux des milieux
originels du lingala), la langue est plus souvent désignée par le nom ma-ngála
(cl6) que par li-ngála (cl5). Dans cette section, nous
allons démontrer qu’en bobangi tout comme en lingala, les deux noms peuvent
avoir exactement la même signification dans certains contextes. Nous allons également
voir quelques distinctions grammaticales dans l’emploi des noms lingála
et mangála. Dans la dernière partie, nous allons voir la racine nominale
ngála d’où dérivent ces deux noms.
En bobangi,
(suivi par le lingala) la forme du singulier, le li-ngála cl5 (prononcé [lɛ-ŋgála] dans certains dialectes
bobangi), en règle générale, ne s’emploie souvent que pour désigner une parole,
un mot, une tournure de phrase, une expression en particulier, etc. Dans
certains cas, comme nous le verrons ici, il peut désigner comme le nom mangála,
un langage, un jargon ou une façon de parler. Ces deux emplois du bobangi se
reflètent bien dans les entrées des dictionnaires lingala-français en (13):
(13) |
Lingála |
Kawata (2004:125) |
1. langue
« lingala » 2. parler,
proverbe, éloquence, rhétorique |
|
|
dic.lingala.be |
1.
langue lingala 2.
parole, déclaration, commentaire, langage |
<29> Au niveau morphosyntaxique et sémantique, le nom lingala peut être
analysé de deux façons, en fonction du contexte. Premièrement et de façon
générale, en bantou, le li- (cl5) est le singulier de ma- (cl6). Ainsi, les noms li-ngála (cl5) et ma-ngála (cl6) peuvent être employés comme étant opposés singulier/pluriel quand il
s’agit de désigner une/les paroles, un/les mots, une/les expressions, etc. Ici
le li-ngála (cl5) est le singulier de ma-ngála (cl6). Pour cette forme du singulier li-
(cl5), nous préférerons le désigner par
« emploi indivuduated » (Mufwene 1978).
Voici en (14) l’exemple dans lequel le nom ma-ngála (cl5) est interprété comme le pluriel de li-ngála
(cl5),
c’est-à-dire, plusieurs ou multiples lingála, ‘mots, expressions, déclarations
ou paroles’:
(14) |
Polo |
a-lob-í |
ma-ngála |
ma-yíké |
(bobangi/lingala) |
|
Paul |
3sg-parler-prf |
6-langage |
6-plusieurs |
|
|
Paul a dit plusieurs paroles (contradictoires). |
Dans ce travail, nous avons adopté la terminologie
de Mufwene (1978)[20] pour qui, dans le cas de li- (cl5) et
ma- (cl6) en lingala, on parlerait de l’emploi individuated et non-individuated
à la place du singulier/pluriel.
En bobangi/lingala l’on peut employer le nom li-ngála (cl5) pour
signifier la même chose que ma-ngála (cl6),
soit un jargon, un langage particulier ou une façon de parler. Ici li-ngála
(cl5) n’est pas le singulier de ma-ngála (cl6). Nous
parlerons alors de l’emploi non-individuated (Mufwene 1978),
c’est-à-dire, quelque chose de non-comptable.
<30> Dans les prochaines lignes, nous allons démontrer grammaticalement
que le bobangi et le lingala, permettent la possibilité d’avoir aussi le li-
(cl5) comme préfixe d’un nom au même titre que
le ma- (cl6). Ceci fait que les noms avec
le préfixe li- (cl5) ne sont pas toujours le
singulier de ceux avec le préfixe ma- (cl6). Dans ce cas, les deux formes auront sémantiquement la même interprétation
sans que les noms en li- (cl5) soient les singuliers de ceux
en ma- (cl6) ou que les noms en ma-
(cl6) soient les pluriels des li- (cl5). Cela s’applique lorsqu’il s’agit de désigner les noms abstraits,
tel, le cas de li-ngála (cl5) vs ma-ngála (cl6) pour désigner le langage ou le jargon. Il s’agit ici de l’emploi non-individuated
(Mufwene 1978).
Considérons d’abord ces
définitions des dictionnaires:
|
Lingala |
|
(15) |
Malonga
(2021:245) |
Paroles
désagréables, langage déplacé Oyo lingala ya modèle nini: Quel langage ! |
|
Kawata (2004:125) |
Parler,
proverbe, éloquence, rhétorique |
<31> Nous avons ici deux emplois de li-ngála, l’un comme parole et proverbe (singulier de ma-ngála) et
l’autre comme langage, parler (au même titre que ma-ngála, neutre par rapport
au nombre). Ici, la phrase, Óyo lingala ya modèle níni, traduit par ‘Quel langage !’, aura exactement la même interprétation
que Óyo mangála ya
modèle níni.
Nous allons maintenant
voir que la forme li-ngála est grammaticalement bien formée comme ma-ngála
pour désigner la même chose, soit, un jargon ou un langage. Ceci fait que
l’emploi du préfixe li- (cl5) comme
équivalent de ma- (cl6), dans le cas
de li-ngála, est grammatical pour ces deux raisons:
Premièrement, en
bobangi et en lingala, il existe des noms abstraits qui appartiennent à la
classe 5, li-, supposés être au singulier dont le sens s’apparente à
ceux de la classe 9 et 14, c’est-à-dire la classe des noms abstraits/noms de
masse, qui sont généralement supposés ne pas avoir de contrepartie au pluriel.
Considérons, en
(16) ces noms lingala (cl5) extraits de
Mufwene (1978:1041) (ces noms sont d’origines bobangi et ont aussi la même
signification en bobangi):
(16) |
a. |
li-kúnyá |
hatred |
|
b. |
li-memíá |
respect |
|
c. |
li-síko |
redemption |
|
d. |
li-sálisi |
help |
|
e. |
li-leli |
way of crying |
|
f. |
li-wa |
death |
<32> Ces noms (cl5) en (16) n’ont pas des contreparties au
pluriel, et ont la même signification que les noms au pluriel CL6 (ma-). Ils ne sont donc
pas des noms au singulier. Nous les désignerons de non-indivuduate.
Deuxièmement, en
bobangi et en lingala, il existe aussi des noms en li- (cl5) généralement analysé en bantou comme
étant au singulier, mais qui dans certains contextes ont exactement la même
signification que leur contrepartie en ma-, cl6, censé être au pluriel,
tel le cas de li-ngála et ma-ngála. Par exemple, il existe des
contextes dans lesquels les noms li-kambo (sg) et ma-kambo (pl) ont exactement la même signification. Prenons
l’exemple de la question ou l’exclamation du français: C’est quoi ça !? en
lingala:
(17) |
a. |
óyo |
li-kambo |
níni
? |
|
|
dem |
5-affaire |
quoi
|
|
|
C’est
quoi cette affaire ? |
||
|
|
|
|
|
|
|
óyo |
ma-kambo |
nini
? |
|
b. |
dem |
6-affaire |
quoi
|
|
|
C’est
quoi cette affaire ? (lit.: C’est quoi ces affaires) |
<33> Nous avons également d’autres noms (bobangi/lingala) du même genre
comme ici en (18).
(18) |
a. |
li-sóló vs
ma-soló |
histoire/histoires,
causerie/causeries |
|
b. |
li-bonza vs
ma-bonza |
offrande/offrandes |
|
c. |
li-kabo vs
ma-kabo |
charité(s),
cadeau(x), sacrifice(s), don(s) |
Dans ces exemples
en (18), c’est seulement l’ajout des modificateurs (noms, adverbes ou chiffres)
qui pourrait établir une différence (par exemple, un, deux, beaucoup,
plusieurs, etc.).
<34> Nous pouvons voir ici que la racine ngála a le même
comportement que les racines citées précédemment. Dans le contexte
pragmatico-sémantique qui exige une interprétation du nom comme un mot, une
parole, une expression, une tournure de phrase, le nom le li-ngála doit être analysé comme étant le singulier de ma-ngála (emploi individuated). Toutefois, dans le contexte dans
lequel cette racine est employée pour désigner un langage, un jargon ou une
façon de parler, les noms construits avec le préfixe li- (cl5) et celui avec ma- (cl6) auront exactement la même
signification. Dans ce dernier cas, li-ngála ne peut être analysé comme le
singulier de ma-ngála. Il est
employé comme un nom de masse (emploi non-individuated)
Avant de conclure cette section, voyons comme
illustration une phrase en bobangi dans laquelle les noms lingála ou mangála
peuvent avoir les deux interprétations que nous venons de proposer ici. C’est
le contexte pragmatico-sémantique qui déterminera la bonne interprétation.
(19) |
a. |
tíka |
no-lobá[21] |
ma-ngála |
ma-ye |
|
|
imp.laisser |
inf-parler |
6-langage/paroles |
6-dem |
|
|
(i) cesse d’employer ce langage; (ii)
cesse de prononcer ces paroles. |
|||
|
|
(lingala: tíká ko-loba ma-ngála
ma-ye/óyo)[22] |
|||
|
|
|
|||
|
b. |
tíka |
no-lobá |
li-ngála |
li-ye |
|
|
imp.laisser |
inf-parler |
5-langage/parole |
5-dem |
|
|
(i) cesse d'employer ce langage; (ii)
cesse de prononcer cette parole |
|||
|
|
(lingala: tíká ko-loba li-ngála
li-ye/óyo) |
<35> Nous voyons ici en (19) que dans les traductions (i) les noms li-ngála
(cl5) et ma-ngála (cl6) sont interprétés de la même façon, soit, le
langage ou une façon de parler (emploi non-individuated). De l’autre
côté, dans les deuxièmes traductions (ii), mangála est interprété comme « plusieurs
paroles » (pluriel) pendant que lingala est interprété comme «
parole » (singulier) (emploi individuated).
Il est clair ici que, dans certains contextes, le
bobangi, tout comme le lingala, permet l’usage du préfixe li- (cl5) avec la racine ngála pour désigner un
langage ou un jargon au même titre que le préfixe ma- (cl6). Nous pouvons donc considérer que l’usage du nom
lingala pour désigner un nom abstrait, à savoir, le jargon du bobangi ou
la lingua franca du fleuve est conforme à la grammaire du bobangi. C’est dans
ce contexte que le nom lingala a été interprété comme un glossonyme par
les colonisateurs, il n’est donc pas d’origine étrangère.
<36> Considérant ce que nous venons de démontrer ici, nous pouvons dire
que ne s’agissant à l’origine que d’un nom abstrait, la grammaire de bobangi
n’interprète pas le nom li-ngála/ma-ngála comme un glossonyme. Voici
trois autres raisons qui appuient ce que nous venons de présenter ici:
Premièrement,
nous n’avons aucune langue bantoue dans laquelle son glossonyme a la forme
morphologique du singulier/nom de masse, mais également la forme pluriel/nom de
masse, tel le cas de li-ngála (cl5) vs ma-ngála (cl6).
Deuxièmement, un glossonyme en bantou ne peut avoir de pluriel, tel le cas de li-ngála/ma-ngála
(5/6) comme démontré ici en (20):
(20)
|
Singulier |
Pluriel |
|
t͡ʃi-lúba |
*bi-lúba |
|
ki-koŋgo |
*bi-koŋgo |
|
lo-mɔ́ŋgɔ |
*be-mɔ́ŋgɔ |
Troisièmement,
généralement en bantou, un glossonyme est toujours associé à une ethnie, mais
dans notre cas, nous n’avons aucune évidence de l’existence d’un peuple nommé
Ngála ou Ba-ngála et qui aurait comme glossonyme le li-ngála ou le ma-ngála.
Voyons, en (21) une illustration:
(21) |
Ethnie |
Glossonyme |
|
luba |
t͡ʃi-lúba |
|
koŋgo |
ki-koŋgo |
|
mɔ́ŋgɔ |
lo-mɔ́ŋgɔ |
Avant de
conclure cette section, nous allons tenter d’analyser la racine bobangi ŋgála.
<37> Dans cette dernière partie de la section, nous allons parler
brièvement de nos recherches sur la racine ŋgála en lien avec le
bantou. Comme nous venons de le voir, ŋgála est une racine d’origine
bobangi, elle a comme champ sémantique tout ce qui est relié à la parole ou aux
expressions linguistiques (parole, locution, langage, mot, proverbe,
expression, façon de parler, tournure de phrase, le langage, jargon, etc.).
À cette étape-ci
de notre recherche, nous préférerons rapprocher la racine nominale -ŋgála
du bobangi avec la racine -ŋgána ou -ŋgála ‘proverbe, dicton,
conte, adage’, communément répandu en bantou. (Kikongo: ki-ŋgána)
Ce rapprochement
s’appuie sur: i) le fait que les changements phonologiques et phonétiques
/l/→[n] et /n/→[l] sont possibles dans plusieurs langues. (Par exemple, en
bobangi/lingala nous avons les racines linga vs ninga ‘vouloir/aimer’, luka vs
nuka ‘chercher’ kila vs kina ‘rejeter/s’interdire’, pɛnɛ-pɛnɛ vs
bɛ́lɛ-bɛlɛ ‘proche’, limeró vs nimero (numéro, français)); ii) la voyelle /á/
dans racine avec le ton haut.
<38> La reconstruction du proto-bantou de Bastin, et al. (2002) donne deux
racines *-gan ‘raconter’ et *-gano ‘conte, proverbe’. Nous pensons
qu’il s’agirait de la même racine historique. Voyons ce que rapporte Obenga
(1984:81-82):
(22) |
a. |
Mbati/Isongo (RCA, Lobaye) |
ngano |
légende, conte, fable, récit |
b. |
Basa (Cameroun) |
hi-ngaana, pl. di-ngaana |
fable, conte, légende, mythe |
|
c. |
Fang (Gabon/Cameroun/ |
nkánà, ngánà |
proverbe, maxime; |
|
ngán |
longue histoire qu’on invente en improvisant pour distraire le
village; |
|||
mengan |
raconter
une longue histoire |
|||
d. |
Mpongwe (Gabon) |
nkano |
conte; |
|
te nkano |
réciter un conte |
|||
e. |
Kongo (Congo/Zaïre/Angola) |
ngána |
adage,
proverbe, fable, légende, conte; |
|
ta ngána |
dire, raconter
une fable |
|||
f. |
Hunde (Zaïre, Est) |
mugani, pl. migani |
conte, légende, fable |
|
g. |
Rundi (Burundi) |
iki-gano, ikigano |
récit, conte, légende |
|
h. |
Rwanda (Rwanda) |
umu-gani |
conte, fable |
|
i. |
Nyoro (Ouganda) |
eki-gano |
récit, conte, fable |
|
j. |
Nyankore (Ouganda) |
ec-gano |
récit, conte, fable, légende |
|
k. |
Luganda (Ouganda) |
ngano |
récits dont certains passages sont chantés: chansons de geste,
ballades; |
|
-gana |
conter |
|||
l. |
Kamba (Kenya) |
wano |
histoire, |
|
kwana |
raconter |
|||
m. |
Kikuyu (Kenya) |
ru-gano, rugano |
fable, conte |
|
n. |
Sukuma (Tanzanie) |
lu-gano, lugano |
récit, légende, conte |
|
o. |
Gogo Tanzanie |
ngani |
histoire, conte, fable, proverbe |
|
p. |
Zigula Tanzanie, Somalie |
lu-gano, ngano |
fable, conte, légende, récit |
|
q. |
Haya et Nyambo Tanzanie |
omu-gani, pl. emi-gani |
proverbe, conte, légende |
|
r. |
Swahili |
ngano,kigano |
fable, conte |
|
s. |
Shona (Afrique australe) |
rungano, ngano |
fable, conte, histoire, légende |
|
t. |
Venda (Afrique
australe) |
ngano |
récit, conte,
fable |
<39> Il se pourrait aussi que la racine verbale bobangi/lingala -ŋgàl-
‘crier sur quelqu’un’ puisse avoir la même origine que la nominale -ŋgála.
Ce que nous
venons de voir dans cette section nous permet de voir que la forme li-ngála
(cl5) est bien formée
grammaticalement et sémantiquement correcte en bobangi pour désigner un jargon
ou un langage particulier. Il est aussi évident que les noms lingála ou mangála
tels que décrits ici démontrent qu’à l’intérieur du système linguistique du
bobangi et du lingala, ces noms ont un sens qui est autre que celui de désigner
une langue et que leur utilisation comme glossonyme doit être considérée comme
étant postérieure. Encore aujourd’hui, pour les locuteurs du bobangi et même
certains locuteurs du lingala, le nom mangála/lingala évoque toujours
l’idée d’un jargon et non d’une langue à proprement parler.
Après avoir
analysé en §2 et en §3 le sens des noms qui dérivent de la racine nominale ŋgála,
dans la prochaine section, nous allons analyser le sens du nom libɔkɔ et
tout ce qui l’entoure.
<40> Nous avons dit en §2 que le nom mangála/lingala, considéré
aujourd’hui comme glossonyme, était une forme raccourcie, une expression
elliptique de mangála má libɔkɔ ou lingála lí mabɔkɔ. Après avoir
analysé, en §3, la racine ŋgála avec ses noms dérivés, nous allons,
dans cette section tenter d’étudier le nom li-bɔkɔ dans mangála má
libɔkɔ ou sous la forme du pluriel mabɔkɔ dans lingála lí mabɔkɔ.
Nous verrons ici le rôle clé qu’a joué les mabɔkɔ dans la propagation du
lingala. Nous répondrons aussi à la question pourquoi, les Bobangi n’ont pas
appelé le lingala mangála má mombóngo ‘la langue du commerce’, mangála
má lobángi ‘la langue du commerce de détail’, mangála má batɛ́ki ‘la
langue des vendeurs’, mangála má dzándo ‘la langue du marché quotidien’
ou mangála má mpika ‘la langue du marché hebdomadaire’.
<41> Le terme bobangi li-bɔkɔ (cl5) ou ma-bɔkɔ
(cl6) au pluriel, est traduit par Whitehead (1899:146; 390) par « market;
sale, space in circle of person ». Courboin (1908:43, 44, 55, 97, 119), en lingala, l’a traduit par « marché » ou
« commerce ». Nous mentionnerons également que dans plusieurs
langues de la Ngiri comme le likata, bomongo, le libobi, le lifonga, le ebuku
et ibɔkɔ, ce nom signifie aussi ‘la cour’ (Motingea 1996:89, 170; 246).
Nous
commencerons par dire que dans les divers dialectes du bobangi et en lingala,
il existe environs cinq mots pour désigner ce que nous pouvons appeler par
marché (comme lieu physique des transactions commerciales), et presque tous ces
noms sont employés en lingala d’aujourd’hui:
(23) |
a. |
le
zándo ou d͡zándo,[23]
comme en lingala, il signifie un grand marché quotidien dans une ville ou un
village. C’est là où l’on achète les produits de tous les jours |
|
b. |
le
wenze ou wɛnd͡zɛ comme en lingala, il est un petit
marché de quartier, un marché spontané, un bric-à-brac, ce mot implique aussi
la notion du désordre. En lingala et en bobangi, la forme rédupliquée wenze-wenze
signifie ‘n’importe comment, le désordre, le cafouillage, etc.’ |
|
c. |
libóŋgo, comme en lingala, il signifie premièrement un port. Comme dans tous
les villes et villages des riverains, le port sert aussi naturellement de
marché quotidien pour la vente des poissons et autres produits du fleuve. De
Boeck (1904:113) le traduit par: ‘marché des vivres’ et Stapleton (1914:85,
133) par: “beach, landing place, market place, shore” |
|
d. |
mpika, ce nom bobangi/lingala signifie la promiscuité, encombrement ou la
densité (Whitehead 1899:195; Kawata 2004:201) est aussi employé en bobangi
pour désigner un marché hebdomadaire, un petit li-bɔkɔ |
|
e. |
li-bɔkɔ cl5 ou mabɔkɔ
cl6 |
<42> À la différence des autres noms utilisés pour désigner les lieux de
vente, li-bɔkɔ est un grand marché ou une foire commerciale périodique
ou permanente qui se tenait dans les cités-États, villages ou dans les îles le
long des cours d’eaux.
Avant de parler
de ces grands marchés des Bobangi, nous allons commencer par bien présenter la
portée sémantique de ce nom. En bobangi, le nom libɔkɔ est aussi employé
pour désigner une grande multitude, une grande cour ou un grand espace. Le nom libɔkɔ c’est aussi, le jour du marché dans la
semaine de quatre jours du calendrier bobangi.[24]
Nous
soulignerons surtout que sémantiquement, le nom li-bɔkɔ (sg) ou ma-bɔkɔ (pl) a un emploi beaucoup plus large que celui de
grand marché périodique. En bobangi, libɔkɔ
ou mabɔkɔ est un
hyperonyme, un nom qui peut englober
tous les autres types de marchés. Ainsi, tous les types des marchés (zándo, wenze, libóngo, mpika) sont aussi appelés mabɔkɔ. Également, en bobangi, lorsque nous disons
qu’une personne vend aux ma-bɔkɔ, (akotɛkɛ o mabɔkɔ) cela implique
que cette personne vend, soit aux foires commerciales (mabɔkɔ), soit encore qu'elle vend dans l’un des
autres lieux de ventes (zándo,
wenze, libóngo, mpika) ou dans
tous les lieux de ventes cités ici. En bobangi, un vendeur ambulant aussi se
dit motɛki o mabɔkɔ, littéralement, un vendeur dans plusieurs
marchés (mabɔkɔ). En bobangi une bonne journée de vente ou une bonne
affaire se dit: libɔkɔ lilámu, littéralement un bon libɔkɔ.
Également pour souhaiter à quelqu’un une bonne journée au marché ou la réussite
dans une affaire commerciale, l’on dit également libɔkɔ lilámu. Nous
rappellerons que le nom libɔkɔ s’emploie aussi comme synonyme des noms commerce,
affaire, ou échange commercial en bobangi (Whitehead 1899:146; 390)
et en lingala (Courboin 1908:97).
<43> Nous mentionnerons aussi que la société des pêcheurs et trafiquants
bobangi était basée sur quatre piliers auxquels le libɔkɔ était le socle. Ces
piliers sont: (i) le mbóka (la terre exondée), le village ou la
cité-État, là où l’on se repose et où les femmes travaillent la terre et
transforment les produits commercialisables; (ii) le nganda, (la terre
inondée) le campement de pêche et lieu de la transformation des poissons; (iii)
le lingómba, la communauté de personnes d’origines sociales et ethniques
diverses, et (iv) le libɔkɔ, là où l’on achète et vend. Le libɔkɔ est
constamment célébré dans les chants traditionnels bobangi comme étant « Le
lieu d’où provient la richesse ». Ainsi, les trois premiers piliers
doivent fonctionner de façon que le libɔkɔ rapporte le plus des richesses
possibles et faire des bobangi des gens puissants (Mobonda 2012).
<44> Revenons maintenant à libɔkɔ comme un type de marché. Le libɔkɔ
est avant tout une foire commerciale où l'on expose tout ce qui
peut être vendu.[25]
ivoires, fusils, esclaves, poissons fumés, bois, pirogues, métaux, produits
importés d’Europe, etc.
L’autre particularité de libɔkɔ est qu’il est avant tout
un marché de troc, un marché des commerçants, une rencontre multiethnique dans
laquelle tout le monde est en même temps vendeur et acheteur. Bentley (1900:464) les avait appelés “trading camps on the town beach”. Harms (1981:53),
lui, les nomme par « riverine trading center » ou « market
camp ».
Nous avons
consulté les ainés Bobangi[26]
qui connaissaient le système des grands mabɔkɔ pour qu’ils puissent nous
donner les mots en français, qui se rapprocheraient les plus au concept de libɔkɔ,
tout en les différenciant des autres types de marchés. Voici les réponses
obtenues:
-
le
marché de négoce
-
un
grand marché des vendeurs ambulants
-
un
grand marché de troc
-
un
marché des revendeurs
-
un
village d’affaires
-
une
foire commerciale
-
un
carrefour commercial
-
un
rendez-vous commercial périodique
<45> Nous mentionnerons que chez les bobangi, il existait trois types de ma-bɔkɔ
(pl), les grands, les petits ainsi que les ma-bɔkɔ-village.
<46> Les grands ma-bɔkɔ organisés par les Bobangi étaient des
véritables foires commerciales qui se tenaient tous les quarante jours d’une
cité à une l’autre, c’est-à-dire, après chaque dix semaines de quatre jours du
calendrier bobangi. (Chez les Bobangi précoloniaux, le mois lunaire durait 28
jours, soit, sept semaines de quatre jours). En général, un grand libɔkɔ durait
deux ou trois jours. Toutes les cités-États bobangi avaient un
quartier appelé motú mó libɔkɔ, ‘la place de la foire commerciale’, lit.: ‘la
tête du marché’, c’est-à-dire, un grand espace qui était disposé pour
accueillir les grands mabɔkɔ.
Les grands mabɔkɔ les plus connus étaient ceux de Limété, Ngombe,
Ntswasa et Ntambo (actuel Kinshasa), de Mpila (actuel Brazzaville), de Bonga, de Bangui, de Moloundou/Molondo dans l’actuel
Cameroun, de Diele[27] et Leketi dans le Haut-Alima, de Ouesso, de
Bolobo, de Lukolela, d’Ilebo-Mangala, de Nkonda,[28] de Lolonga, de Lediba et de Bwemba
(l’actuel Kwamouth) dans le Bas-Kasaï. Les commerçants venaient de très
loin pour acheter et vendre dans ces mabɔkɔ des Bobangi.
Par exemple, les mabɔkɔ de Ouesso dans la Haute-Sangha attiraient
les gens de l’intérieure du Cameroun, dans celui de Bangui participaient les
Ngbandi, Ngbanziri, Mbanza, Monzombo de la Centrafrique, du Congo-Brazzaville
et de la RDC. Celui d’Ilebo-Mangala accueillait des
vendeurs-acheteurs Mpama, Losakani, Ntomba, Ekonda, Nkundo et Batwa (Vansina
1990:227). Ceux de Leketi et de Diele desservaient les commerçants du
Haut-Alima et de la vallée de l’Ogooué (L’actuel
Gabon). Le libɔkɔ de Leketi a été qualifié par Brazza (1887:226) de « centre
commercial avancé des Bobangi ».
<47> Il existait aussi des petits mabɔkɔ ou mabɔkɔ
inter-village aussi appelé mpika qui se tenaient une fois par semaine
bobangi de quatre jours et durait seulement un jour. Harms (1979:115) écrit:
“A series of markets located about five kilometers from the river, served as
neutral places of exchange between the Bobangi and their inland neighbors. Each
market met every four days, but different markets met on different days,
providing a market within walking distance of most villages every two days”.
<48> Les Bobangi organisaient également d’autres sortes de petits mabɔkɔ
appelés mpika etoli ‘marché flottant’ qui se tenaient sur une des îles
inhabitées. Les commerçants se rencontraient sur une île en particulier à
chaque période déterminée pour s’échanger les biens à vendre. Ces marchés ne
duraient qu’une seule journée.
<49> Quant à ce que nous appellerons
les ma-bɔkɔ-villages, il s’agit des campements ou villages situés
le long des grands cours d’eau qui étaient dédiés uniquement au commerce (achat
et vente) et à la transformation des produits (maniocs, poissons, boissons, etc.).
Les commerçants Bobangi habitaient ces villages de façon permanente, saisonnière
ou intermittente.
Brazza (1887:226)
les avait désignés par « centre commercial des Bobangi », Pradier (1886)[29]
les avait appelés « établissements où ils (les Bobangi) se livrent exclusivement au
commerce ». Coquery-Vidrovitch et al. (1969:100) les
qualifie de « villages temporaires autour desquels s’organisait le
marché » ou « villages riverains qui leur tenaient lieu de
marchés » (p.103). Harms (2019) les désigne
par « Bobangi market town (p.80) »), « Bobangi trading town
(p.81) », « seasonal trading village (p.107) ». Praddier (dans
Brazza 1877:457) avait noté: « une vingtaine de ces établissements
méritent le nom de village », Pecile (dans Brazza 1877:337), lui a
mentionné que «
quelques-uns même sont des vrais anciens villages ».
<50> Il nous faut mentionner
que le marché le
plus important de la rive droite du
Pool Malebo était
celui de Mpila (Coquery-Vidrovitch et al 1969:109), qui était également un libɔkɔ-village
des Bobangi (Vansina 1973:260).
Nous allons
clore cette partie en soulignant que dans ces villages totalement dédiés au
commerce et habités uniquement par les Bobangi, la langue parlée par les commerçants
était naturellement un bobangi souvent mélangé avec les langues des voisins. C’est
ce jargon que les Bobangi appellent mangála má libɔkɔ, c’est-à-dire, la
langue parlée dans un village commercial.
<51> Les Bobangi avaient des villes commerçantes appelées mbóka lí mabɔkɔ
‘la ville aux mille marchés’ (lit., la ville des marchés) que Harms (2019:81) a
appelés « major trading center ». Il s’agissait des villes dans lesquels
il existait plusieurs marchés spécialisés (Ivoire, métaux, poissons, fusils, etc.).
Il s’agit de Bolobo, Irebu-Mangala, Bonga et Nkonda. C’est à partir de ces
villes que les grands commerçants Bobangi contrôlaient les autres mabɔkɔ
de la région (Stanley 1886:364; Froment 1887:468; Vansina 1973:260; 1990:227; Harms
2019:80). “At junction of where major tributaries flowed into Congo River, there
was usually a Bobangi market town that controlled the trade along that
tributary”, a écrit Harms (2019: 80). Ces villes étaient d’une importance que Harms
(2019: 81) avait écrit: “By avoiding the Bobangi trading towns, Stanley missed
a chance to learn about the trading system of the Upper Congo”.
Ayant présenté, les
différentes sortes de mabɔkɔ, voyons maintenant comment ce système a
servi à créer et à propager le bobangi commercial, dit mangála má libɔkɔ/lingála
lí mábɔkɔ.
<52> Pour bien comprendre la notion de mangála má libɔkɔ ou lingála
lí mabɔkɔ, nous devrions souligner le rôle clé des mabɔkɔ des
Bobangi dans le système économique global de la région. Cela va surtout nous
permettre de mieux comprendre la propagation de cette langue commerciale.
L’établissement
des mabɔkɔ le long des rivières a été l’outil privilégié par les Bobangi
pour faciliter leur commerce. Les Bobangi se permettaient d’établir les mabɔkɔ
partout le long des cours d’eau parce que, selon leur tradition, le Fleuve
(et ses affluents) leur appartient au même titre que les autres peuples sont possesseurs
de leurs terres (Harms 1978:51; Tshimpaka 1980:132; Mumbanza et al. 2016:62).[30]
Ce système des mabɔkɔ était la clé de voute du monopole
commercial que détenaient les Bobangi sur les cours d’eau de la région. Il a
surtout été le vecteur principal de la propagation du bobangi commerciale, le
lingala.
Dominés et
contrôlés par les Bobangi, les transactions dans ces villes, villages ou
carrefours commerciaux multiethniques devraient se faire dans une sorte de
bobangi lingua franca, un dialecte intermédiaire et
commercial (Coquilhat 1888:81), un sabir du bobangi (Bruel 1935:165), un bobangi de
traite (Hulstaert 1950:45), un broken bobangi (Cf. Meeuwis 2019), un bobangi
mélangé et déformé (Hulstaert 1940:39), un ‘bad bobangi’ (Marker 1929:16),
c’est-à-dire, un bobangi approximatif parlé par les acheteurs et vendeurs
non-locuteurs du bobangi.
Bruel (1935:165) a écrit : « Avant notre
occupation, les Boubangui, proches parents des Bangala, faisaient du commerce
jusqu'aux premiers rapides de la Sanga et de l'Oubangui. Par suite, ils avaient
propagé leur langue et nous n'avons fait que hâter et faciliter la diffusion
d'un sabir qui pré-existait déjà en grande partie».[31]
<53> Sur le commerce dans l’Alima, Ponel
(1885) avait rapporté que « La langue commerciale du bord de la rivière
était une sorte de sabir, mélange à fortes proportions de batéké, d’apfourou,[32] et
de mboshi ».
Ces mabɔkɔ
étaient répandus dans presque tous les cours d’eau de la région, ce qui
obligeait tout vendeur et acheteur à parler le bobangi tel que parlé dans ces
institutions. Ndinga-Mbo (1986:106) a écrit : « Etant leș plus actifs
marchands du haut fleuve et formant un groupe assez important, les Bobangi
étendirent leur influence, et leurs clients s'efforçaient de connaître
plusieurs mots de leur parler pour mener à bien les transactions commerciales.
C'est ainsi que sur le tronçon du fleuve entre le « Pool » et Bopoto
et jusqu'à l'intérieur de la Cuvette Zaïro-Congolaise, les natifs non seulement
comprenaient, mais parlaient, ne fût-ce qu'imparfaitement le Bobangi ».
Les Bobangi,
eux-mêmes aussi, avaient appris à manier ce « kibangi, dialecte commercial
et intermédiaire » (Coquilhat 1888:81) pour transiger
avec les non-Bobangi. Ce fait mentionné par
Meeuwis (2020:20) sur les débuts de la colonisation nous donne un meilleur
éclairage : “The Bobangi people continued to use original Bobangi among
themselves, but in contexts where they, or non-Bobangi Congolese with prior
knowledge of Bobangi, communicated with the whites and their African helpers,
the newly emerging pidgin took over”.
<54> Sémantiquement, l’interprétation de libɔkɔ ne doit pas être limitée
à la notion du marché, car ce nom fait aussi appel à la notion de communauté. Un
libɔkɔ est une foire commerciale dans laquelle y participaient des
centaines de personnes, certaines duraient plusieurs jours, d’autres étaient
des vrais villages ‘d’affaires’. Nous pouvons dire qu’un libɔkɔ était
aussi une communauté linguistique, un speech community (Cf. Labov 1973).
Cela nous permet d’affirmer ici que le lingala
s’est facilement propagé dans cette région, non pas nécessairement parce que
les Bobangi y étaient les principaux commerçants ou faisaient le trafic sur de
longues distances, mais surtout parce qu’ils détenaient la quasi-totalité des
lieux ou communautés dans lesquels les gens communiquaient pour les raisons
d’affaires, les mabɔkɔ.
<55> C’est ainsi que le bobangi de ces mabɔkɔ s’est naturellement imposé comme la seule langue de commerce
dans le Fleuve et ses affluents. Pour Mbulamoko (1991: 388), « le
lingala précolonial dérivé du bobangi n’avait que comme fonction, celle de
« langue de contact dans les transactions commerciales ». Hulstaert (1950:45) avait remarqué
que « le lingala actuel diffère très peu de « bobangi de
traite » du siècle dernier ».
C’est ce
commerce à travers le réseau des mabɔkɔ
qui avait fait aussi que le bobangi devienne la langue seconde des communautés
riveraines le long du Fleuve (Kund1885:386; Sims 1886; Coquilhat 1888; 1885;
Oram 1891; Lemaire 1895; Harms 1981; Vansina 1973, 1990).
Vansina (dans
Cocquery-Vidrovitch et al. 1969:456) a écrit: « Vu que les Bobangi
trafiquaient sur des distances si grandes, on peut se demander s'il n'existait
pas un « langage de traite » ». Ce « langage de traite »
ou « le bobangi de traite » (Hulstaert 1950:45), c’est exactement ce que veut dire mangála má libɔkɔ.
<56> C’est ce bobangi commercial mangála
má libɔkɔ ou lingála lí mabɔkɔ raccourci
en mangála ou lingála que les colonisateurs Belges ont interprété
comme étant un glossonyme. Ce changement, partant d’un nom bobangi mangála má libɔkɔ en glossonyme mangála
ou lingála, s’agit là d’un développement lexicologique qui est tout à
fait naturel dans l’évolution des langues. Le nom mangála tout comme lingála
réfère toujours en effet à mangála má libɔkɔ en bobangi et pour tous ceux
qui en connaissent le sens originel.
Les pratiques et
traditions commerciales au travers les réseaux des mabɔkɔ des Bobangi que nous venons de voir ici nous permettent
de voir que le nom mangála má libɔkɔ
dans son sens originel ne signifiait pas une langue à proprement parler, mais
plutôt un jargon circonstanciel du bobangi. Il est le bobangi simplifié des
grands marchés ou des foires commerciales. Tronquées ou raccourcies en mangála
et lingála, ces trois formes d’appellations demeurent encore en usage
jusqu’aujourd’hui.
Après avoir
présenté ici les conditions sociales, économiques et historiques qui expliquent
le nom mangála má libɔkɔ, nous allons, dans la prochaine section, nous
concentrer sur les développements que ce nom a eus par la suite.
5. Le mangála má libɔkɔ, une ethnie ou le
parler des Iboko-libinza ?
<57> Dans cette section, nous analysons les possibles significations de mangála má libɔkɔ ou lingála lí mabɔkɔ trouvées dans la littérature.
<58> Avant de présenter ce que les auteurs ont dit
sur ce sujet, nous aimerions souligner deux faits importants: Premièrement, le
nom mangála má libɔkɔ, à
part le fait de désigner la langue lingala, est aussi employé comme une sorte
d’allo-ethnonyme pour désigner les différents peuples de Mankanza.
Deuxièmement, il est important de spécifier qu’il existe deux catégories de ces
‘peuple’. Il y a, en effet, les immigrants de Mankanza que nous désignerons par
les premiers Mangála-má-libɔkɔ et
ensuite, depuis les années cinquante, les Riverains originaires de Mankanza que
nous appellerons les nouveaux Mangála-má-libɔkɔ.
<59> Les premiers Mangála-má-libɔkɔ, sont
des immigrants de Mankanza, c’est-à-dire, cette mosaïque de peuples (des
non-riverains) venue s’installer vers les années 1890 dans le poste colonial de
Mankanza/Nouvelle-Anvers, la capitale de la région. Cette communauté comprend,
les personnes venues étudier, les employés de l’État, les militaires, du
diocèse, les orphelins recueillis par les missionnaires, etc. (Weeks 1913; Dieu 1946; Mumbanza
1971, 1995; Bontinck 1988, Ambwa et al 2015; Meeuwis 2020, 2021), ils sont en majorité, les Ngombe.
<60> Le colonisateur européen avait imposé le
bobangi ‘simplifié’ (qui était déjà la lingua franca du fleuve) comme lingua
franca de la station (Coquilhat
1888; Thonner 1898; Buls 1899; Weeks 1913; Hulstaert & De Boeck 1940;
Hulstaert 1989; Vinck 1994; Mumbanza 1995; Mumbanza et al. 2015; Meeuwis 2020). C’est en 1904, dans cette même cité que
les missionnaires catholiques ont fixé ce bobangi lingua franca devenant le
lingala normatif, aussi appelé lingala
lya Mankanza.
Cette communauté d’origines diverses avait adopté la lingua franca du
bobangi appelée mangála má libɔkɔ comme langue commune, mais qui est devenue pour eux une sorte de
langue tribale. C’est ainsi que leurs voisins, les ‘autochtones’, ont commencé
par les désigner par le pseudo-ethnonyme Mangála-má-libɔkɔ. C’est ainsi que ce glossonyme est aussi devenu leur ethnonyme.
Aujourd’hui, les Mangála-má-libɔkɔ se vantent à être la seule ‘ethnie’ au Congo-RDC à avoir comme langue ‘tribale’
le lingala des missionnaires.
Les Bobangi ne reconnaissent pas les Mangála-má-libɔkɔ comme leurs frères (Riverains), d’après eux, ils sont les Ngombe.
<61> La catégorie des nouveaux Mangála-má-libɔkɔ est formée des Riverains originaires de la région de Mankanza, entre autres, les Libinza, Iboko, Mabale, Balobo, Boloki, etc., qui ont adopté ‘partiellement’ cette identité communautaire dans les années cinquante. Ils ont ainsi commencé à se faire appeler Mangála-má-libɔkɔ tout en gardant leurs identités ethniques originelles (Mumbanza 1995). Nous connaissons aujourd’hui des personnes qui se disent, à la fois Balobo et Mangála-má-libɔkɔ ou libinza et Mangála-má-libɔkɔ, pendant que pour celles de la première catégorie, elles ne s’identifient uniquement comme Mangála má libɔkɔ. Pour cette deuxième catégorie, le nom Mangála-má-libɔkɔ signifie simplement être originaire de Mankanza, car la majorité des Libinza, Boloki ou Balobo ne sont pas des Mangála-má-libɔkɔ, car, n’étant pas originaires de Mankanza.
Dans la prochaine partie, nous allons présenter ce que nous avons
trouvé dans la littérature sur ce sujet:
<62> Mumbanza et al. (2016:83) a écrit: « À la suite d’une confusion due à Henry Morton
Stanley en 1877, les Européens considérèrent les parlers iboko, mabale et
boloki comme des parlers bangala … Les Iboko avaient d’ailleurs adopté une
formule mixte Mangala ma Liboko. Le nouveau nom finit par être attribué à
l’ancienne langue commerciale du fleuve, qui porta alors le nom de lingala, au
lieu de kibangi. »
Six points méritent d'être remis en cause ici: Premièrement,
nous pouvons voir ici que Mumbanza et al. (2016) et al. n’a pas considéré la
signification de ce nom en bobangi et en lingala. Le nom libɔkɔ pour désigner le marché ou le commerce est
attesté en lingala (Courboin 1908) bien avant le pseudo-ethnonyme Mangála-má-libɔkɔ.
Deuxièmement, cette position ne tient pas compte de la distinction entre les
deux catégories des ‘peuples’ Mangála-má-libɔkɔ, comme mentionnée
précédemment. Troisièmement, en disant: « Le nouveau nom finit par
être attribué à l’ancienne langue commerciale du fleuve, qui porta alors le nom
de lingala, au lieu de kibangi (p.83). », cette position de Mumbanza et
al. (2016) nous parait anachronique, car le nom mangála ou mangála má
libɔkɔ pour désigner la langue existait bien avant son adoption comme un
pseudo-ethnonyme. Mumbanza (1973:475) lui-même
avait soutenu que les gens de Mankanza précolonial devaient s’appeler
« Iboko », « Bai-Iboko » ou « Bato ba Iboko ».
Quatrièmement, le glossonyme ki-bangi n’a jamais
été employé par les populations du Haut-Congo. Il s’agit d’un emploi kongo que les Européens ont adopté.
Cinquièmement, au niveau morphophonologique, le nom
se prononce toujours à la façon bobangi,
mangála má libɔkɔ,
c’est-à-dire, avec le ton haut sur la voyelle du connectif (má), ce qui
n’est pas permis dans les langues citées par Mumbanza
et al. (2016). Van Everbroeck (1985:III) avait clairement mentionné
« mangála málibɔkɔ ».
Le ton haut (H) de la voyelle /a/ du connectif má
trahit son origine bobangi. Dans les langues
de Mankanza, l’on devrait dire mangála
ma liboko (ton bas sur le
/a/ du connectif ma-). Sixièmement, cette autre origine ‘Mankanza-centrique’ du
glossonyme ne peut rendre compte des diverses populations du nord du
Congo-Brazzaville et du sud-ouest de la Centrafrique, à des centaines de
kilomètres de Mankanza, pour qui Mangála
má libɔkɔ est le nom authentique
du lingala.
<63> À la lumière de ce qui vient d’être démontré,
nous trouvons qu’il serait incongru de proposer que les gens de Mankanza aient
adopté un nouvel ethnonyme/glossonyme qui serait agrammatical dans leurs
propres langues. Il est donc motivé linguistiquement
que le nom mangála má mabɔkɔ soit d’origine bobangi.
<64> Nous allons ici voir le point de vue linguistique de Tshimpaka
(1980) postulant que le nom lingála lí
mabɔkɔ employé par les Bobangi pour désigner le lingala soit d’origine
libinza.
Voici ce que rapporte
Tshimpaka (1980:125) d’après ce que ses informateurs Bobangi lui ont dit: “They
point out the fact that what is usually called "Lingala li Maboko"
(Lingala of Maboko) is a mixture of Libinza and Bobangi”.
Cette position de Tshimpaka (1980) est intenable pour deux
raisons:
Premièrement, nous trouvons très incohérent que les
informateurs-locuteurs du bobangi aient associé leur façon de désigner le
lingala, lingála lí mabɔkɔ au libinza-Ibɔkɔ, pendant qu’en
bobangi ce terme signifie le marché (Whitehead 1899: 146; 390).
Deuxièmement, l’auteur n’a pas motivé le changement de Ibɔkɔ en mabɔkɔ.
Si les Bobangi associaient le nom mabɔkɔ au peuple Ibɔkɔ, la forme aurait été lingála
lí ba-ibɔkɔ, car il serait incongru en bantou de former
le pluriel d’un nom désignant les humains avec le préfixe ma-cl6.
Avant de
conclure cette section, nous aimerions mentionner le cas d’Irebu-mangála.
<65> Dans cette dernière partie, nous allons mentionner le cas de la cité
bobangi portant le nom d’Ilebo-mangála ou Irebu-mangála.
Le nom que porte
cette cité est simplement un raccourci de Ilebo-mangála má libɔkɔ.
Autrefois cette
cité s’appelait simplement Ilebo ou Lilebo (Irebu avec /r/
est une déformation européenne). L’ajout du surnom mangála má libɔkɔ ou simplement mangála vient du fait qu’à l’époque précoloniale, Ilebo
était la cité-État bobangi dans laquelle l’on parlait le plus le mangála má libɔkɔ. Elle est considérée, par
les Bobangi, comme l’endroit où le bobangi a connu sa plus forte simplification
pour donner naissance au lingala actuel.[33]
Ilebo était à l’époque, le carrefour commercial le
plus multiethnique de toutes les cités bobangi. Morel (1909), a écrit: “The populous district of Irebu, the home of the champion traders on the
Upper Congo (p.64). “Irebu, the '' Venice of the Congo," whose inhabitants
were versed in all the subtleties of the African trade (66-67)”.
<66> Ce caractère multiethnique et commercial
s’explique par sa position géographique ‘stratégique’. Ilebo est situé sur le
fleuve Congo, en face de l’embouchure de l’Ubangi et à l’entrée du chenal qui
relie le Fleuve au Lac-Ntomba. Ceci faisait que les peuples du Lac-Ntomba, de
l’Ubangi, du Likouala, de la Sangha et de la Basse-Ngiri venaient commercer
dans la cité. Ce qui n’était pas le cas pour les autres cités commerciales
bobangi qui n’avaient pas une multitude des voisins.
C’est ce
contexte particulier qui a facilité l’émergence d’un bobangi ‘multiethnique’ qui était propre à Ilebo. Ce bobangi simplifié d’Ilebo popularisé partout
dans le fleuve que les premiers Européens avaient appelé « la langue du Fleuve
ou du Haut-Congo ». Un cas de ‘pidginisation’ du bobangi à Irebu rapporté
par Whitehead (1899:50) en est un exemple:
There is in use at Irebo a Reflexive Pronominal
Prefix, but it does not seem to be understood elsewhere, and therefore it is
not inserted in this Grammar as a member of the language of the Bobangi; it is
the syllable -ya-, and is used for all numbers and persons, as nākôyälingā,
“I love myself”.
Cet affixe du
réflexif est employé aujourd’hui dans le lingala de Mbandaka. Whitehead ne
s’était pas rendu compte que c’était le lingala.
<67> Nous aimerions souligner ici trois choses: i) Ilebo-Mangala portait le nom de mangála
bien avant la création du lingala des missionnaires de Mankanza, mais également
avant l’adoption du glossonyme lingala par ces mêmes missionnaires; ii) Il
portait aussi ce nom avant que les habitants de Mankanza soient appelés Mangála-má-libɔkɔ;
iii) la colonisation de la Haut-Congo a commencé dans les cités Bobangi à Bolobo
et les premiers centres d’instruction militaire ont aussi été établis à Irebu
et à Yumbi bien avant Mankanza (De Rop 1960:17; Hulstaert 1989:106).
Pour terminer,
nous mentionnerons qu’il n’existait aucun autre lieu portant le nom de mangála
dans la région (Mumbanza 1973:473).
<68> Nous venons de voir ici que l’origine du nom mangála
má libɔkɔ ne peut être celle du
libinza/iboko (Tshimpaka 1980), ni celle des habitants de Mankanza (Mumbanza et
al. 2016) car très postérieure. Il est clair pour nous que ce nom est bien formé
en bobangi et en lingala pour désigner la langue commerciale.
Après avoir
complété la section sur l’expression mangála má libɔkɔ, dans la prochaine, nous allons voir comment l’origine du glossonyme
lingala est présentée dans la littérature.
Avant de
présenter les propositions de nos auteurs, nous commencerons par spécifier que
le bobangi (tout comme le lingala) fait les distinctions suivantes:
(24) |
1. |
mo-ŋgálá /
mi-ŋgálá (3/4) |
branche de
rivière; chenal ou le couloir dans le fleuve (HH) |
|
2. |
ma-ŋgálá (6) |
une espèce de
fougère (HH) |
|
3. |
mo-ŋgala /
mi-ŋgala 3/4 |
une longue
maison (BB) |
|
4 |
ko-ŋgala (verbe) |
crier sur
quelqu’un, se fâcher fortement (BB) |
|
5. |
li-ŋgála /
ma-ŋgála (5/6) |
langage,
expression, jargon, parole, mot (HB) |
|
6. |
mo-ŋgalá /
mi-ŋgalá (3/4) |
panier fait en
liane’ (BH) |
|
7. |
ŋgala (9/10) |
le tour ou
cycle d’une personne dans un jeu (BB) |
|
8. |
ko-ŋgala / ko-ŋgela
(verbe) |
briller,
réussir, gagner (BB) |
Nous pouvons
voir ici que ces distinctions tonales induisent des interprétations sémantiques
différentes, elles nous démontrent qu’il s’agit des racines différentes, même
s’ils se ressemblent du point de vue de notre système d’orthographe.
<70> Nous allons ici aborder la question du glossonyme
et ethnonyme bangála. Dans la littérature de l’époque coloniale, le lingala/mangala a souvent
été désigné par le glossonyme bangála. “Another name used by some missionary linguists
for early Lingala” (Bokamba 2009:53). Pour Mbulamoko (1991:387): « le terme "lingala" dérive de
'Bangala" terme dont l'étymologie est encore incertaine et qui avait été
utilisé pour la première fois en 1877 par Stanley ». Tanghe
(1930), Guthrie (1939) et Knappert (1979) avaient soutenu que le glossonyme bangála
provient de mangala, le nom de la langue et d’un peuple éteint. Selon De Boeck (1927:7) l’ethnonyme
originel serait Ba-mangala, ‘gens de Mangala’, Mangala serait le nom
d’un village disparu ou de son chef.
Nous proposons
ici que le glossonyme tout comme l’ethnonyme ba-ngála proviennent du glossonyme ma-ngála/li-ngála
pour quatre raisons:
<71> Premièrement, l’existence d’un peuple nommé
Bangala, Mangala ou Bamangala et qui parlait une langue nommée bangala, mangala
ou lingala n’est attestée nulle part (Hulstaert 1940:36; Bryan 1959:41). Jusqu’aujourd’hui, il n’existe aucun peuple qui se
revendique être de la tribu Bangála ou Mangála ou même qui se dit descendant d’un peuple disparu qui se nommait comme
tel. Selon Burssens
(1956:37) l’ethnonyme Bangala s’agit d’une erreur commise par les premiers colonisateurs.
Pour Mumbanza (1995a:352), il « semble résulter d'une méprise
(p.352) ». Toutefois, si les Belges employaient le nom Bangala pour
désigner les gens de Mankanza, au Congo-Français, les colonisateurs employaient
ce nom pour désigner les populations lingalaphones du nord du Congo-Français.
Ils ne l’employaient pas comme glossonyme (Brazza 1887:376, 386).
Deuxièmement,
son emploi comme glossonyme est relié aussi au jargon que les bobangi appellent
mangala. Meeuwis 2021:20-21 a écrit: « Le pidgin bobangi en
expansion était si étroitement associé à Bangala-Station et aux Congolais
classés et désignés par les Blancs comme étant des « Bangala » … Ainsi, dans la
seconde moitié des années 1880, la « langue commerciale » ou « mauvais bobangi
» fut rebaptisé « bangala » » (p.20-21).
Il est clair que
le glossonyme bangala s’agit d’un emploi créé par les Européens, car les
Africains ne connaissaient pas ce nom (De Boeck 1904:3; Tanghe 1930; Guthrie
1939). Il est aussi évident que le fait d’appeler la langue et le peuple par le
même nom reflète les règles propres aux langues européennes pour nommer les
ethnonymes et les glossonymes. Par exemple, les noms français, allemand
ou italien, signifient en même temps la langue et la nationalité.
Troisièmement
quant à sa morphologie, il est linguistiquement improbable que les locuteurs
des langues bantoues aient pu désigner une langue par le nom ba-ngala (cl2). Guthrie
(1943:118) a écrit: “The use of the prefix ba- in this name, referring
to the people rather than the language, suggests that the name was adopted by
those who had no knowledge of the prefix system of Bantu”.
Le fait aussi que
ba-ngála ait le même patron de ton
que li-ngála/ma-ngála (B-H-B) nous
pousse à suggérer qu’il dérive du glossonyme qui lui est antérieur (Il y’a huit autres possibilités).
Quatrièmement, quant au nom Ba-ma-ngála (De Boeck
1927:7), cette double préfixation témoigne qu’il ne s’assagirait pas du nom d’un peuple
ni celui des habitants d’un lieu, mais des locuteurs d’une langue. Pour les
habitants, le nom aurait été Bai-mangála ou
bato-ba-mangála (Mumbanza 1973:475).
<72> Mentionnons ici le cas du
glossonyme bangala que l’on désigne aujourd’hui la langue sœur du lingala aussi
appelée mɔnɔkɔ
na Bangala, bangála
na ɓamwǎna na Wɛlɛ (Edema 1994:16), lingala d’Uele ou lingala
d’Isiro.
Bangala est une
variété issue de la pidginisation du bobangi dans le Haut-Uele. Avec 2 millions de
locuteurs (Nassenstein à paraitre), elle est une lingua
franca parlée dans un environnement dans lequel les locuteurs ont comme langues
premières, les langues non-bantoues (Azandé, Mangbetu, Ngbaka, etc.), l’arabe
Juba et le Swahili.
<73> Selon Guthrie (1943) et Meeuwis (2019), le bangala a été introduit dans
le contexte de l’implantation de la colonisation européenne dans la région. Pour
Motingea (1996:66), cette langue se parlait dans cette région avant l’époque
coloniale.
D’après les
traditions bobangi, ce bobangi ‘déformé’ s’était développé à l’époque où les
Bobangi contrôlaient le commerce et avaient des villages-mabɔkɔ dans la rivière
Uele avant d’être chassé par la coalisation des Arabo-Soudanais et les Ngbaka. Le
nom de la rivière serait d’origine bobangi, wɛlɛ signifie ‘entrer’,
c’est l’entrée des eaux ou la source de la rivière Ubangi/Bobangi (Uele est une
transcription des Européens). Motingea (2010:2, 15) a mentionné que les Bobangi
ont antérieurement habité cette région.
Nous rappellerons ici qu’au début de la
colonisation, les Belges désignaient le bobangi commercial du fleuve (lingala)
et celui du Haut-Uele par le même nom bangala, mais celui du Haut-Uele
porte ce nom jusqu’aujourd’hui. En bobangi, le bangala tout comme le lingala sont
désignés par mangála
má libɔkɔ.
<74> Pour ce travail, il nous semble important de tenter de clarifier la
question de l’origine de ce pseudo-ethnonyme avec lequel les Belges ont produit
le ‘glossonyme’ bangala.
Selon les
traditions bobangi, les noms ma-ngála, ba-ma-ngála et ba-ngála
ont été utilisés comme synonyme depuis l’époque précoloniale pour désigner les
locuteurs du jargon commercial mangála (aujourd’hui, les lingalaphones).
Gondola (1998:57) écrit: « Cette appellation générique (Bangala) pour
caractériser les populations du Haut-Fleuve est une invention du colonisateur.
Elle fut dérivée probablement du mangala, qui a été pendant longtemps
imposée par les populations banunu et bobangi comme la langue du commerce dans
le Pool avant l'arrivée des Européens ».
Certains voisins
des Bobangi employaient aussi ces noms comme une sorte d’allo-ethnonyme pour
désigner les diverses tribus Bobangi, c’est-à-dire, les locuteurs originels de
mangála (Bobutaka 2013:28). Toutefois, les Bobangi eux-mêmes ne se désignaient
pas comme tels. Ce pseudo-ethnonyme Bangála s’était étendu ensuite aux
autres Riverains de Likouala, Sangha, Ubangi et du Fleuve.
Hulstaert (1974)
aussi avait soutenu que le terme « Bangala » aurait pu être utilisé à
l’époque précoloniale par certaines populations pour en désigner d’autres.
<75> Avant de clore cette partie, nous allons voir la toute première référence
écrite de cet ‘ethnonyme’ par Stanley, le premier Européen arrivé dans le
Haut-Congo. Voici un extrait de son récit du 8 février 1877 dans l’Upoto:
De
tous les objets que nous vîmes dans le village, les plus intéressants pour nous
furent quatre anciens fusils portugais dont la vue arracha à mes hommes un cri
de joie. Ces armes leur prouvaient que nous ne nous étions pas égarés; que le
grand fleuve conduisait réellement à la côte et que je ne les avais pas trompés
en leur affirmant qu'ils reverraient la mer. Je demandai aux indigènes comment
ils s'étaient procuré ces fusils. Ils me répondirent qu'ils les tenaient des
gens de Bankaro, Bangaro, Mangara ou Mangala - ce dernier est le véritable nom
- qui venaient en canots leur acheter de l'ivoire une fois par an. Ces
marchants ont la peau noire et jamais les indigènes n’avaient vu d’hommes
blancs ou d’Arabes. Un ou deux de ces gens avaient visité Mangala. Ces grands
voyageurs me citèrent les localités dont ils avaient entendu parler comme se
trouvant en aval, j’en donne la liste que les géographes feront bien d’étudier: Iringi; Mpungu; Mpakiwana; Ukataraka; Mangala;
Marunja; Ibeko; Ikonogo; Iregweh; Bubeka; Bateke; Imeme; Ikumu; Ikandawanda;
Irebu. (Stanley 1878:286-287)
Ce récit de
Stanley (1878) nous conduit à voir ces Bangala/Mangala comme étant possiblement
les Bobangi mangalaphones/lingalaphones pour quatre raisons:
<76> Premièrement, concernant le fusil portugais vendu dans le Haut-Congo,
nous savons que les Bobangi avaient le monopole de la distribution des produits
européens dans cette région. Ils vendaient des armes et de la poudre à canon
(Harms 2019:107). Ils étaient décrits comme étant « un peuple hostile armé
des nombreux fusils » (Brazza 1887:408). Brazza et son armée ont été
battus par les Bobangi équipés des fusils européens (Brazza 1877:45; Harms 2019:108).
Deuxièmement,
sur l’identité de ces Riverains-acheteurs d’ivoire. Les Bobangi étaient les
plus grands acheteurs de l’ivoire dans le Haut-Congo et avaient le monopole de
sa vente dans le Pool-Malebo (Stanley 1886; Brazza 1877; Vansina 1973, 1990;
Harms 1981; Harms 2019). Les plus grands marchés de l’ivoire dans le Haut-Congo
étaient situés chez les Bobangi, Irebu (Stanley 1886:376), Bolobo, Nkonda
(Cocquery-Vidrocitch et al 1969:107), Bonga (Vansina 1973:275)). “The entire Bobangi trade network was focused on buying all the ivory
available on the Upper Congo and bringing it to the Poll”, a écrit Harms (2019:84).
Troisièmement,
parmi les noms des quinze localités de ces Mangala, les quatre connues sont à
associer avec les Bobangi, à savoir, Irebu, Mangala, Bubeka et Bateke. Tous les
autres noms sont inconnus jusqu’aujourd’hui.
Le premier nom
est celui d’Irebu, appelé jusqu’aujourd’hui Irebu/Ilebo-Mangala. Le
deuxième est celui de Mangala que nous associerons à ce même Irebu-Mangala.
Stanley aurait possiblement interprété le nom composé Ilebo-Mangala
comme s’agissant de deux villes différentes. En plus, mangála est le nom
du jargon d’Irebu.
Le troisième nom
est celui de Bubeka,[34]
prononcé Bobeka, l’un village bobangi près de Bolobo (Harms 1981:145). Le
quatrième nom est celui de Bateke, qui est un ethnonyme aussi associé à
un peuple d’en aval. Le lien ici avec les Bobangi et le lingala s’explique par
le fait que dans le Haut-Congo, les Bateke s’identifiaient comme Bobangi. Ils
sont les alliés, les voisins et partagent avec le Bobangi plusieurs villages.
N’étant pas des ‘Riverains’, ils montaient à bord des canots des Bobangi avec
leurs marchandises jusqu’à Irebu (Vansina 1973:260, 270). Vansina (1973:311)
écrit:
Tio and Bobangi had borrowed so much from each other's
culture that Sir Harry Johnston in 1883 had difficulty keeping them apart up
river. Their clothing and housing were similar, they spoke Bobangi up river and
Tio at the Pool, they lived in mixed villages.
Il existe aussi
un groupe des Teke riverains ou Teke-Bobangi appelés les Mabale ou Babale (ceux
du fleuve en Bobangi). Selon la tradition, ils ont fui les chefs tyrans Bobangi
pour s’établir en pays Bateke. Ils parlent le teke, mais vivent selon les traditions
bobangi (Harms 2019:125)
Quatrièmement, en disant « Mangala est le véritable
nom (p.287) », « J’ai adopté le nom le plus communément employé dans
le pays (p.302) », cela confirme que le nom mangala était déjà
connu à l’époque précoloniale.
Sachant également l’absence de la consonne /r/ dans
cette région, nous proposons que ces quatre possibles ethnonymes Bankaro,
Bangaro, Mangara ou Mangala fassent référence aux Mangala et
Bangala, c’est-à-dire, locuteurs du mangala.
<77> Un autre élément à considérer sur le lien bobangi-bangala est ce
témoignage de Mata-Buiké, le chef des Iboko/Mankanza. Coquilhat (1888:244) a
écrit « Mata-Buiké m’a soutenu récemment ne pas être Ba-Ngala, en
attribuant ce nom à des tribus d’aval. » Cette mention « les tribus
d’aval » nous laisse aussi suggérer qu’il peut s’agir des Bobangi qui habitaient
et contrôlaient le commerce jusqu’à l’embouchure de la rivière Lulonga, soit
130 kilomètres en aval de Mankanza (Vansina 1973:260; 1990:227). De Boeck (1927:7) lui avait
mentionné que les Ba-mangala, « gens de Mangala » habitaient autrefois
l’embouchure de Lulonga. La langue parlée, à cette époque, à Lulonga était le
bobangi (Scrivener 1901:101). Cela concorde aussi avec ce qui est mentionné
dans INRAP (1983:5): « Selon les missionnaires de Scheult établis à
Makanza (ex-Nouvelle-Anvers) dans la région zaïroise de I'Équateur, il vivait
autrefois une tribu, les Bobangi, située entre Mbandaka et Makanza,
l'embouchure de la rivière Lulonga. C'est cette tribu qu'ils désignèrent de
Bangala comme pour distinguer ces riverains de la rivière Mongala. C'est donc
le dialecte de bobangi (bangala), actifs pécheurs, qui au contact des autres
riverains du fleuve Congo, se métamorphosa pour donner une nouvelle langue, le
lingala ou mangala ».
<78> Ce que nous venons de voir ici nous permet de voir que, (i) le glossonyme
bangala n’était pas connu des Africains précoloniaux; (ii) le
pseudo-ethnonyme/glossonyme Bangála est postérieur et au glossonyme/nom mangála;
(iii) cet emploi glossonyme/ethnonyme est d’origine européenne, et (iv)
l’ethnonyme/glossonyme Bangála dérive du nom ma-ngála.
Sachant ce qui
vient d’être dit ici, nous proposons les ethnonymes Bangála, Mangála et Bamangála
sont les produits d’une mauvaise interprétation des Européens des noms
employés par les Africains pour désigner les locuteurs du mangála/lingála.
<79>Ici, nous allons analyser le proposition Bokamba (2009) qui a suggéré
que le glossonyme lingála/mangála proviendrait de mo-ngálá, un nom qui signifie un chenal dans le
fleuve. Cette thèse a été aussi
avancée par Hulstaert (1940:36).
Bokamba (2009:57) écrit: “A very plausible explanation for the source of
“Bangála,” “Mangála,” and “Lingála” is the word mongálá “a creek” or
“small river that is a tributary of bigger river,” with a corresponding plural
as mingálá, that commonly occur in the closely related languages of the
Ubangi-Congo rivers confluence”.
Voici les
raisons principales de Bokamba (2009): (i) Il explique que quand les
commerçants riverains s’identifiaient comme provenant de tel ou tel mongálá
‘rivière’, faute de la maitrise des langues par les premiers colonisateurs,
ceux-ci les ont appelés les mongálá, « this term, which also means a
speaker of Lingala, (p.57) ». C’est à la suite de cette mauvaise
interprétation des Européens que la langue a été désignée par lingála (et non
lingálá); (ii) Il dit également que compte tenu du fait que la plupart des
langues de la région commencent par le préfixe nominal li-: liboko, likila,
libinza, likoka, lingombe, etc., il n’aurait pas fallu beaucoup d’efforts
de la part de Mgr De Boeck pour « inventer » le terme lingala pour désigner la
lingua franca de la station de Bangala (p.57).
<80> Nous trouvons cette position de Bokamba (2009), intenable pour
quatre raisons:
Premièrement, en
disant que le nom li-ngála vient de mo-ngálá, Bokamba (2009) ne
peut rendre compte de la différence de ton dans la racine entre mo-ngálá
(HH) ‘rivière’ et la langue li-ngála (HB) dans des langues à ton est
fixe et étymologique. Selon cette logique, cette langue s’appellerait lingálá
et non lingála. Il n’a pas non plus justifié le fait que mo-ngálá (cl1) a comme pluriel mi-ngálá
(cl3) et que li-ngála (cl5) a comme pluriel ma-ngála (cl6).
Deuxièmement, Bokamba
(2009) propose que le nom mangála aussi provient d’une mésinterprétation
des colonisateurs. Pourtant, selon Johnston (1902),
Tanghe (1930), Guthrie (1939, 1943) et Knappert (1979), le glossonyme mangala
ait existé avant la colonisation. Harry Johnston avait visité cette région bien
avant l’établissement des Européens à Mankanza.[35]
Troisièmement,
en soutenant que le nom mongálá signifie aussi locuteur de lingála,
Bokamba (2009) semble ignorer la distinction de tons entre mo-ngálá qui
signifie le bras de rivière et mo-ngála, qui lui, peut aussi signifier locuteur
de lingála. Le nom mongálá pour désigner les locuteurs du lingala n’est
attesté nulle part.
Quatrièmement, la position de Bokamba (2009) ignore
ou ne tient pas compte de l’existence de deux racines ngála ‘parole,
expression, langage, etc.,’ et de ngálá ‘bras de rivière, chenal,
couloir fluvial’ en bobangi. Pourtant, selon Bokamba (2009:56), le bobangi
serait le lexificateur initial du lingala.
<81> Il est donc clair pour nous
que la position de Bokamba ici ne peut rendre compte de l’usage et de la
signification des noms lingála et mangála dans la langue de tous
les jours en bobangi et en lingala. Elle ne peut non plus rendre compte de
l’existence du ‘glossonyme’ mangala bien avant l’établissement des Européens
à Mankanza. En conséquence, il est insoutenable que cet emploi courant en
bobangi a simplement comme origine une mauvaise interprétation des colonisateurs
de Mankanza.
Nous conclurons,
cette partie en disant que ngálá et ngála s’agissent de deux
racines distinctes qui n’ont pas de liens d’ordres sémantiques. Nous optons
ainsi pour l’interprétation du bobangi comme nous l’avons démontré au (§2) qui
a les deux racines et qui distingue leurs interprétations.
<82> Nous avons démontré en (§ 3) que la forme li-ngála (cl5) était morpho-syntaxiquement bien formée et sémantiquement correcte en
bobangi pour désigner un jargon ou un langage. Dans cette section, nous allons voir
les positions des autres experts sur l’origine de ce nom.
<83> Nous allons ici analyser la position partagée par Guthrie (1966),
Knappert (1979), Samarin (1986), Meeuwis (1998),[36]
Bokamba (2009) et Nzoimbengene (2013) qui ont proposé que le nom lingala
avec le préfixe li- soit une invention ou un néologisme introduit par De
Boeck, l’évêque de Mankanza. Il l’aurait conçu, avec le préfixe li-, de
façon à refléter les noms des langues de la région, le libinza, likoka, likila
et lingombe, (Bokamba 2009; Nzoimbengene 2013).
Premièrement, à
part le préfixe li- de li-ngombe, les li- de toutes ces
langues ne sont pas des préfixes glossonymiques. Les racines -binza, -koka,
-kila n’existent pas.
Deuxièmement,
nous voyons que cette position ne peut rendre compte de l’emploi en bobangi du
nom li-ngala pour désigner, une parole, une expression ou le langage (voir
§2). Tshimpaka (1980:125) avait aussi mentionné
que les Bobangi désignaient le lingala par le nom lingála lí maboko. En
suivant Tshimpaka (1980), il serait pour nous incongru et anachronique de
penser que ces Bobangi précoloniaux avaient intégré dans leur lexique le nom
inventé des années plus tard par De Boeck (voir § 6.2).
Troisièmement,
cette position ne peut non plus rendre compte du fait que lingala
faisait déjà partie des noms que l’on désignait la langue du fleuve avant la
venue des missionnaires à Mankanza. Hulstaert
(1940:38-39) a écrit: « dans la dernière décade du siècle précédent, on
employait encore très peu le terme « lingala »; on parlait le
« bobangi » ou « kibangi », quoique déformé
et mélangé, et se rapprochant déjà beaucoup du lingala actuel ». Mbulamoko (1991) a
soutenu également que: « La langue parlée dans ce poste des Bangala
(Mankanza) portait divers noms: langue du fleuve, langue commerciale du fleuve,
kibangi, bobangi, bangala, lingala (p.387) ». Sur la datation du
glossonyme lingala, Mbulamoko (1991:388) a aussi écrit: « le terme
"lingala" désignant la langue était étymologiquement possible depuis
1877, probable depuis 1884, et effectivement entré dans l'usage autour de
1895 ». La
position de Mbulamoko (1991:338) remet en question la supposée paternité
du préfixe li- de lingala de De Boeck. Nous savons que De Boeck né en
1875 et est arrivé au Congo en 1901.[37]
Il est donc clair que l’usage du nom lingala lui est antérieure.
Quatrièmement, en tout
respect avec les auteurs cités ici, notre interprétation de De Boeck (1904:3-5)
nous laisse croire que la langue se faisait déjà appeler lingála par les
Africains avant que l’évêque décide de choisir ce nom comme glossonyme officiel
de l’Église et par la suite de l’État. Il a écrit: « Je m'aperçus qu'on
n'avait pas appelé sans motif cette langue universelle le Bangala ou, comme
disent les noirs, le "Lingala" […] Le "Lingala" comme nous
l’appellerons par la suite » (De Boeck 1904:3-5).
<84> Nous sommes en mesure de
dire que, pour cette première grammaire écrite pour les missionnaires, les
militaires et autres fonctionnaires Blancs de l’État colonial, l’évêque a
décidé, d’une certaine façon, que les Blancs qui désignaient la langue par
bangala, devraient aussi commencer par l’appeler lingala (comme les Noirs). Il
est pour nous évident que De Boeck a ainsi choisi, officialisé et étatisé le
nom lingala pour nommer la lingua franca, sans toutefois l’inventer.
Nous proposons ici que, pour désigner le nom
officiel de la langue de sa Grammaire de 1904, l’Évêque de Mankanza avait eu
comme choix les termes existants, soit, bobangi, ma-ngála ou li-ngála
(termes utilisés par les autochtones) ou soit, ba-ngála et ki-bangi
(utilisés par les Européens). Il n’a donc pas, non plus, emprunté le préfixe li-
aux langues de la région.
<85> Voyons ici la thèse de Tshimpaka (1980) qui suggère que les
puissants commerçants Bobangi qui contrôlaient les cours d’eau à l’époque
précoloniale avaient adopté et monopolisé la langue des Libinza pour faciliter
leur commerce. C’est ce libinza adopté par les Bobangi qui est devenu
aujourd’hui le lingala. Cela se reflète, prétend-il, dans le préfixe li-
de son glossonyme li-ngála (à comparer avec li-binza) conçu selon les règles
grammaticales du li-binza plutôt que celles du bobangi. Il écrit:
“one would expect a name like *Bongala or *Longala to be used on the model of
Bobangi. This has not been the case, and I am now persuaded that the name
Lingala was first coined by native speakers of a language such as Libinza. They
did this following their own language pattern which contains the prefix li-
in the initial position” (Tshimpaka 1980:119).
<86> Cette position est intenable pour quatre raisons:
Premièrement, le
li- de libinza n’est pas un préfixe glossonymique, car le nom libinza
est à la fois un glossonyme et un ethnonyme. La racine binza n’existe pas en
libinza. Si l’on suit le modèle de Tshimpaka (1980), pour les Libinza, leur
langue se nommerait li-binza, et le peuple *mo-binza (sg) et *ba-binza (pl), ce qui n’est pas le cas. En règle générale, dans les langues des Riverains,
il n’existe pas de préfixe spécifique pour nominaliser les glossonymes.
Deuxièmement, en
disant que si le glossonyme lingala venait du bobangi, la langue aurait
dû s’appeler « *bongala » ou « *longala », selon les règles
du bobangi (p.119), l’auteur a démontré, encore une fois, sa méconnaissance des
règles régissant la formation des glossonymes en bobangi et dans les langues
des Riverains. Contrairement à ce qu’a prétendu Tshimpaka (1980), le bo-
de bobangi n’est pas un préfixe glossonymique. Les Bobangi n’ont jamais désigné
leur langue comme étant le lo-bangi ou lo-bobangi. Tout comme
chez leurs frères Riverains Libinza, le nom bobangi réfère à la fois à la
langue, au peuple, et même aux localités. Les prétendus glossonymes du bobangi
de Tshimpaka (1980), le lo-bangi ou celui avec double préfixation lo-bo-bangi,
inconnus des Bobangi, sont clairement des exonymes. En effet, ce sont les
Mongo/Nkundo, les Ntomba et les Ekonda qui désignent la langue bobangi de la
sorte (Motingea 1996:17). Ils l’ont, ainsi nommé, selon leurs propres règles de
la nominalisation des glossonymes avec le préfixe glossonymique lo-
(lo-mongo, lo-nkundo, lo-ntomba). Il s’agit d’une pratique qui est généralisée
en bantou. Tel est aussi le cas des Ba-kongo avec le ki-bangi (ki- étant
le préfixe glossonymique en ki-kongo).
Troisièmement,
comme nous l’avons démontré ici, pour les locuteurs du bobangi, le nom lingála
ne réfère pas à une langue, il ne peut donc être conçu selon les règles
régissant la formation des glossonymes en bobangi.
Quatrièmement,
il n’existe pas chez les Libinza la pratique qui consiste à former les
glossonymes des autres peuples en les préfixant par li-. Par exemple,
*li-bobangi, *li-mongo, *li-kongo, etc. Sachant aussi que le li- de
libinza n’est pas un préfixe glossonymique en libinza, il est évident que le lingala
avec le préfixe li- ne peut être l’invention des locuteurs du libinza.
<87> Sachant
aussi que la racine ngála n’existe pas en libinza et en iboko, il est
donc clair que le nom li-ngála ne peut être d’origine libinza. Nous
rappellerons ici que Tshimpaka (1980:124) lui-même reconnait que ses
dires ne sont appuyés sur aucune information d’ordre linguistique, grammaticale
ou lexicologique.
Compte tenu de
ce que nous venons de présenter dans cette section, nous dirons que: (i) le nom
lingála est bien formé et sémantiquement conforme en bobangi pour
désigner le lingua franca du bobangi (voir 2§); (ii) le nom lingála pour
désigner la langue était déjà utilisé avant De Boeck. Guthrie (1966:ix) qui
suggère que li-ngála vient de De Boeck reconnait que le nom originel de
la langue est mangála; (iii) Les données de Tshimpaka (1980) n’arrivent
pas à démontrer que le préfixe li- de li-ngála serait d’origine libinza;
et (iv) Il est reconnu que les Bobangi désignaient la langue par lingála lí
mabɔkɔ (Tshimpaka 1980:125).
<88> Dans les villes et villages du nord-ouest de la RDC, du sud-ouest de
la Centrafrique et dans le nord de Congo-Brazzaville, les gens ont toujours su
que le nom mangála má libɔkɔ ou simplement mangála désignait ce que nous appelons aujourd’hui le lingala.
Quant à l’origine du nom, sa signification, nous ne pouvons affirmer que tout
le monde le savait.
Malheureusement,
comme nous venons de le constater ici, les travaux des chercheurs sur l’origine
de la langue et de son glossonyme se sont concentrés presque exclusivement
qu'autour de Mankanza, le lieu d’origine du lingala des missionnaires: (i)
C’est Stanley qui a entendu parler des Bangala dans la région de Mankanza, et
par la suite, les colonisateurs ont nommé leur langue le bangala; (ii) Ce sont
les colonisateurs qui ont entendu les gens arrivant de Mankanza dire qu’ils
venaient de tel ou tel mongála ‘bras de rivière’, et par une mauvaise
interprétation, ces colons ont appelés leur langue lingala; (iii) C’est
l’évêque de Mankanza qui aurait inventé le nom li-ngala; et (iv) le nom
lingala vient des Libinza-Iboko de Mankanza.
<89> Dans ces recherches sur l’origine du lingala, la langue commerciale
des cours d’eau, nous avons également remarqué que les grands axes commerciaux
du bassin du Congo comme les rivières Alima, Likouala, Sangha et l'Ubangi contrôlés
par les Bobangi sont ignorés. Mais également, les grandes cités commerçantes
précoloniales comme Bangui, Bonga, Bobolo, Ilebo-Mangala, Nkonda, Lukolela,
Mossaka ou Ouesso (voir Harms 1981) n’ont pas, elles, non plus, été
considérées. Même si le bobangi est la source ou la langue mère du lingala, la
piste Bobangi ou celle des peuples parentés aux Bobangi du Congo-Brazzaville
n’a pas été considérée. Seul Tshimpaka (1980:125) a eu le mérite de vouloir
savoir pourquoi les Bobangi appelaient le lingala, lingála lí mabɔkɔ.
Sommes-nous devant une sorte de biais Mankanza-centrique inconscient ?
Nous venons de
démontrer que le mangála était le nom le plus ancien du lingala et que
ce nom est un raccourci de mangála má libɔkɔ. Nous avons démontré
également que l’existence du bobangi lingua franca (Sims 1886) précède la
désignation ‘officielle’ de la langue avec le glossonyme lingala par De
Boeck (1904). Nous avons aussi démontré que l’appellation de la langue sous le
nom de lingala quoique peu généralisé à l’époque précoloniale (par
rapport au mangala) est grammaticalement bien formé en bobangi. Nous avons
également démontré que le glossonyme bangala n’est pas d’origine
bantoue, et qu'il s’agit plutôt d’un nom que les colonisateurs utilisaient
entre eux. Nous avons aussi démontré que la prétention selon laquelle le nom lingála/mangála
provient du nom mongálá ‘chenal’ n’est pas plausible dans les langues dans
lesquelles le ton est étymologique. Le bobangi a ces deux racines avec des
significations différentes.
<90> Nous ne venons, donc, pas de révéler un nouveau nom. Nous venons
tout simplement de donner le contexte grammatical, sociolinguistique et
historique qui explique pourquoi les Bobangi désignaient leur jargon commercial
par mangála má libɔkɔ ou lingála lí mabɔkɔ. Il ne s’agit pas d’un
glossonyme, mais simplement d’un syntagme nominal qui, par la suite, est devenu
un nom.
Qualifier un
français parlé, par exemple, dans les carrefours commerciaux et par les
vendeurs ambulants de « langue commerciale », de « jargon des
affaires » ou de « langue de traite » ne signifie pas attribuer
un glossonyme à une nouvelle langue. Toutefois, avec l’évolution naturelle des
langues, cet hypothétique français des carrefours commerciaux pourrait porter,
des années plus tard, le nom de « commercial », de
« jargon » ou « langage ». Malgré cette nouvelle
appellation, ce ‘jargon’ ou ‘sabir’ devrait pourtant demeurer le français. Même
si quelque peu modifié, mélangé ou déformé, il deviendrait un dialecte ou un
créole ayant toutefois comme base le français. Tel est le cas de mangála má libɔkɔ, la langue
des foires commerciales des Bobangi devenue aujourd’hui simplement mangála et connu mondialement sous le
nom de lingála.
<91> Cette réduction de mangála má libɔkɔ en mangála, est une sorte de troncation ou
d’aphérèse suivie d’une lexicalisation, un phénomène morpho-lexical que l’on
trouve dans la formation des noms. Nous avons des exemples de ce genre dans les
noms, motor-car qui est devenu car, omni-bus, devenu bus
ou ville-capitale qui est devenue capitale, etc. Toutefois,
l’exemple de l’évolution du nom mangála ou lingála à partir du
syntagme mangála má libɔkɔ ou lingála lí mabɔkɔ est
celle de la catégorie des phrases tronquées en nom ou expression elliptique.
Ces noms réfèrent toujours à la phrase originelle, tel le cas du célèbre livre
de Chomsky (1965) Aspects of the Theory of Syntax, appelé Aspects,
mais également Chomsky (1970) Remarks on Nominalization aussi
désigné simplement par le nom Remarks. Nous avons vu aussi qu’en
bobangi/lingala (voir §2.1.2.) la phrase nominale mangála mabé ‘un
langage impoli’ se dit aussi simplement mangála ‘le langage’.
Cette signification du glossonyme lingala ressemble à celle du kikongo
commercial, appelé mono-kutuba ‘I speak/say’ devenu kituba ‘way of
speaking’ (Mufwene 2009:213).
<92> En nous référant au contexte grammatical et sociolinguistique du nom
mangála ou lingála tel que présenté dans ce travail, nous dirons
qu’il signifie aussi « broken bobangi » (cité
par Meeuwis 2019:3), « bad bobangi » (Marker 1929:16), « sabir
du bobangi » (Bruel 1935:165), « bobangi déformé et mélangé »
(Hulstaert 1940:39), « miserable patois of Kibangi » (Stapleton 1892:226) ».
Cela nous permet aussi d’affirmer que des étiquettes comme « bobangi de traite » (Hulstaert
1950:45), « trade language » (Weeks 1913:49; Harms 1981:93),
« langue commerciale » (De Boeck 1904:3), « eclectic “trade” language »
(Whitehead 1899:vi), « la langue de traite » (Hulstaert 1989:91, 95),
« la langue commerciale du fleuve » (Mbulamoko 1991:379), « le dialecte
intermédiaire et commercial » (Coquilhat 1888:81), etc., attribuées à la langue
révèlent sa véritable signification en bobangi/lingala.
Nous pouvons
conclure en disant que même si aujourd’hui, le nom lingála/mangála désigne
une langue, dans la grammaire du bobangi et dans son lexique, ce nom ne peut
être analysé comme un glossonyme. Ceci fait que grammaticalement en bobangi, le
nom lingála/mangála réfère toujours à un jargon du bobangi, au bobangi
commercial, dit mangála má libɔkɔ ou lingála lí mabɔkɔ. C’est ainsi
que les Bobangi définissent le lingala comme, mangála málobakí bankɔ́kɔ o
mabɔkɔ ‘le jargon que parlaient nos grands-parents dans les foires
commerciales’.
Quant à la
question de savoir si le lingala/mangala d’aujourd’hui est linguistiquement encore un jargon du bobangi ou s'il est une langue
séparée du bobangi, la question reste ouverte.
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[1] Traditionnellement en bantou, les tons ne
sont pas marqués sur les glossonymes, toutefois, dans cet article, nous les marquerons
sur lingála et mangála lorsqu’ils ne sont pas employés comme glossonyme.
[2] J’aimerais remercier les ainés Bobangi qui m’ont
fourni les informations sur les traditions commerciales des Bobangi: le
professeur émérite Honoré Mobonda, l’auteur de « Cosmogonie et
inventaire culturel des pays de Mossaka »; le professeur émérite Roger
Mokoko, l’auteur de « Mossaka et son histoire »; l’historien Dave Mangobo
Mpeti; Sedar Mombanga de l’Association des Bobangi de France, Pascal Ndinga,
professeur à l’UQAM et Dr Bokanda Yombi.
Je tiens aussi à remercier
les professeurs Heather Newell, Thomas Leu et le Michael Meeuwis pour leur
générosité pour avoir relu ce document et m’avoir fourni de précieux conseils.
Je souligne également mes remerciements envers à Monika Feinen qui a produit la
Carte 1.
[3] Nous spécifierons ici qu’au
Congo-Brazzaville, le lingala normatif ou officiel est celui des présentateurs
et journalistes de la télévision ou de la radio qui ont toujours été, dans la
quasi-totalité, des Bobangi (Henri Pangui (prononcer Mpangi), Laurent Botseke,
Alfred Dzokanga, Marie Boleko, Aline-France Etokabeka, etc). N’ayant pas de
cursus scolaire en lingala comme en RDC, la norme est établie par l’élite
Bobangi de Brazzaville. À Kinshasa, également l’on qualifie le lingala parlé par
les Bobangi comme étant de lingala de Brazzaville.
Moysan
et Cariou(1946:5) ont écrit: « A notre avis il a existé réellement deux
courants bangala: l’un a suivi la rive belge et l’autre la rive française. Le
lingala parlé au Congo-Belge paraît prendre sa source dans la région de la
Nouvelle-Anvers, tandis que le lingala français aurait pour mère le bobangui
dont le centre serait Bolobo. Le bobangi est d’ailleurs apparenté à toutes les
langues parlées dans les rivières du Congo français, de Makotimpoko à Lukoléla:
mbochi, kouyou, likouba, likouala, makoua, bonguili: toutes ces langues sont
certainement de la famille bobangui. ».
Moysan
et Cariou(1946) ne savaient pas que le lingala parlé dans la région de
Nouvelle-Anvers (Mankanza) aussi était d’origine bobangi (Coquilhat 1888:202).
[4] La date de publication n’est pas mentionnée
dans le livre, mais Samarin (1982:36) dit qu’il était écrit entre 1887 et 1895.
La version que nous avons consultée appartient à la bibliothèque de Harvard College
depuis au moins 1906.
[5] Les Européens venus par la côte atlantique,
avaient adopté la désignation ki-bangi, à la façon des Kongo. Le ki-
étant le préfixe glossonymique en ki-kongo (ainsi bo-bangi est
devenu ki-bangi).
[6] Ce que nous démontrons ici
est connu des Bobangi et des populations du Nord. Ce sujet a été souligné par
l’historien Dave Mangobo Mpeti (2014) dans une entrevue donnée à la chaine de
télévision CN1. (Congo Number One) dans l’émission, Où est la vérité sur
le peuple Bobangi.: L’historien Dave Mangobo explique: Qui est le peuple
Bobangi, abusivement appelé Balobo ?
À la minute (17:36), le journaliste pose la question (notre traduction):
Quand mon ami parle avec ses parents en bobangi, je comprends tout, car la
langue qu’il parle, c’est vraiment du lingala. Explique-nous quelle est alors
l’origine de cette langue qui ressemble vraiment beaucoup au lingala ?
Dave Mangobo explique (21:54): Le nom de Lingála/Mangála vient de mangala
má libɔkɔ qui signifie « langue du marché ». Lingála ou mangála
signifie « la langue » et libɔkɔ signifie « marché ».
En bobangi, nous utilisons deux noms pour désigner le marché, libɔkɔ et zando
(qui est aussi employé en lingala). Vous pouvez aussi dire mangala ya zando.
L’émission est disponible sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=wp3JVOi_Bl4&t=971s, 16.07.2014)
[7] Le terme lingala classique fait référence à
un lingala considéré comme pur ou originel dans lequel les règles d’accords
sont soigneusement respectées et articulé phonétiquement à la façon des
« Gens d’eaux » du Haut-Congo. Un lingala sans les mots d’origines
étrangers. Il réfère également lingala tel que fixé par les missionnaires de
Mankanza (catholiques) et de Bolobo (protestants).
[8] Nous disons français, ici, car dans une
langue comme l’anglais par exemple, les noms langue et langage sont exprimés
par un seul nom language. Le terme anglais language englobe les
deux sens. En anglais, l’on dirait plutôt « the way of speaking ».
Plus spécifiquement, en anglais la différence est indiquée de
façon grammaticale au lieu d’être indiquée de façon lexicale. «Language »,
quand utilisé comme nom non-dénombrable a le sens de ngála (language =
speech, way of expressing oneself etc; « People use language to express
themselves », et « a language », nombrable, a le sens d’une
langue en français; « He speaks one language and she speaks three
languages ».
[9] Ici Banunu et Bobangi s’agit du même peuple.
[10] Il s’agit du groupe bobangi composé du
bobangi, moi [moyi], mangala et lingala (p. 29)
[11] Mufwene (1978) a démontré que, contrairement à
la tradition bantouiste, les classes 5/6, li-/ma- en lingala ne doivent
pas être analysées comme étant simplement un couplé opposé (singulier/pluriel).
Ce qui est exactement la même chose en bobangi.
[12] Les Bills sont les gangs des jeunes Kinois.
Leur lingala est aussi appelé ki-bil.
[13] « Kokatela moto lingala » https://www.mbokamosika.com/2014/08/kokatela-moto-lingala-est-ce-une-expression-idiomatique.html
[15] Nous avons trouvé une exception : le bobangi emploie aussi l’expression sémbólá lokótá de la même
facon que sémbólá mangála, intreprétée par Whitehead (1899 :226) comme
« speak grammatically or with right words».
[16] La différence entre le lingala et le bobangi
dans le progressif est le ton: a-ko-lob-á (bobangi) haut (H) sur suffixe
final et á-ko-lob-a (lingala), le ton haut (H) sur le préfixe 3sg et ton bas (B) sur le
suffixe final.
[17] Le bobangi emploi munya ‘la bouche’
uniquement dans le sens de l’organe du corps humain, en revenche, monɔkɔ
est employé pour désigner une ouverture, un trou, un orifice, etc., par exemple
« la bouche d’une rivière, le trou d’une arme à feux, une entrée, etc. Le
lingala utilise seulement monɔkɔ pour tous ces emplois.
[18] Honoré Mobonda (communication privée) nous a
dit que cet emploi peut apporter aujourd’hui une certaine confusion. Par exemple,
le (10a) mangála má Likuba peut être interprété comme le lingala des Likuba par des
personnes qui ont appris le bobangi en ville.
[19] Le terme est aussi utilisé en Allemagne et en
Autriche.
[20] Mufwene (1978) ne traite que du lingala, mais
tous ces emplois sont les mêmes en bobangi.
[21] L’infinitif avec le préfixe mo- du bobangi
est de moins en moins employé en lingala.
[22] En bobangi, en lingala de Brazzaville et dans
les variétés du Nord, l’impératif se marque par le ton haut(H) sur la voyelle
final -a du verbe si seulement la voyelle de la racine a un ton bas. En
lingala de Kinshasa, l’on marque toujours l’impératif par le ton haut de la
voyelle finale quel qu’en soit le ton de la racine.
[23] Il est prononcé [zándo] à Kinshasa, partout
ailleurs, c’est [d͡zándo]. Le lingala de Kinshasa est le seul dialecte qui a
le son /z/. Ce son /z/ provenant du kikongo est la marque distinctive des
Kinois.
[24] Les quatre jours de la semaine bobangi sont: ntsɔ́nɔ́, bosalo, molonga et eyenga (Sims 1883:21). Eyenga, c’est le jour où il n'y a pas de marché, le
jour sacré (devenu le dimanche chrétien en lingala/bobangi).
[25] On raconte que certains commerçants étaient
capables de vendre même leurs propres pirogues et manquer de moyen de transport
pour retourner chez eux, d’autres vendaient même leurs propres vêtements.
[26] Voir les remerciements au début de l’article.
[27] Le village, le
poste ou la station de Diele dans l’Alima n’existe plus, toutefois, il est
souvent mentionné dans les documents des premiers colons français et des
historiens (Brazza 1887; Herse, 1957; Coquery-Vidrovitch et al. 1969; Obenga, 1973;
Ndinga-Mbo 2006; Harms, R. 2019)
[28] Le nom de cette
cité bobangi se prononce ŋ͡kondá par les Congolais (voir Ndinga-Mbo
2006), mais ce nom a été écrit sous plusieurs graphies par les premiers colons
français et dans l’administration coloniale. Froment (1899:187) et Rouget
(1913:37) écrivent N’counda, Coquery-Vidrovitch et al (1969) mentionne
sept fois le nom Ncounda (sans apostrophe). Courboin (1904) mentionne la forme
kunda (104:173, 277; 300), toutefois, pour sa grammaire du lingala dans la
partie Manuel de conversation Courboin (1908:30, 43; 44) mentionne le
nom N’counda en français et N’kunda en lingala. L’administration
coloniale l’avait écrit avec la graphie Kounda. Le missionnaire John
Whitehead (1899:v), tout comme les historiens Robert Harms (1981:140) et
Ndinga-Mbo ont écrit Nkonda.
[29] Rapport de Pradier 1886 dans
Coquery-Vidrovitch et al. (1969:457).
[30] Les bobangi chantent: esé na esé na nkóló,
ebale nkóló Botoke, “Chaque
terre a son propriétaire, mais le fleuve est la propriété de Botoke” (le chef mythique des
Bobangi).
[31] Georges Bruel, un des premiers historiens de
l’Afrique-Équatoriale-Française est arrivé dans l’Ubangi en 1896 (Samarin
1982:28).
[32] Apfourou ou Ba-pfourou,
une déformation de bab͡vuru qui signifie étranger ou hôte. Le nom
(d’origine bobangi) que les Bateke de l’Alima appelaient les Bobangi.
[33] Cela a été aussi souligné dans l’entrevue de
Dave Mangobo cité au §.01.
[34] Il n’existe pas de préfixe bu- dans la région,
en plus, les Européens ont souvent transcrit le /o/ en u. Ilebo>irebu;
Nkonda > Ncounda; Ntomba>Tumba; Boloki >Bourouki, etc.
[35] Johnston est le premier
Européen à avoir rencontré Stanley au Congo vers 1882 (Encyclopedia
Britannica
2024). Celui-ci avait parcouru le fleuve Congo en 1882-1883 (cf. Stanley 1884).
La station de Mankanza a été établie en 1884 (Mbulamoko 1991:385), les
missionnaires catholiques ont suivi quelques temps après.
[36] Michael Meeuwis n’est plus de cet avis. Il partage
l’idée que De Boeck n’a fait qu’officialiser un nom qui existait déjà
(communication personnelle).
[37] aequatoria.be, consulté le 12 février 2024.
http://www.aequatoria.be/04frans/032biobiblio/0321DE%20BOECK.htm